La littérature de colportage ou « bibliothèque bleue » était composée de toutes sortes de petits livres vendus à bas prix. Beaucoup étaient des contes et des récits de chevalerie. Parmi eux figure le livre imprimé à Troyes par Garnier, en 1730, intitulé « Histoire des nobles prouesses et vaillances de Gallien Restauré, fils du noble Olivier, le Marquis, et de la belle Jacqueline, fille du roi Hugon, empereur de Constantinople » (découvert grâce à Google.livres).
Il met en scènes les faits d’armes du chevalier Gallien, qui combat les Turcs avec Roland, Richard, Olivier, l’archevêque Turpin, et autres preux des chansons médiévales.
Il est un chapitre intéressant pour ce blog, car il concerne l’emploi d’un bâton par Gallien, pour réduire à néant le roi des Turcs nommé Pinard. Au chapitre XXVIII, on apprend que ce dernier s’est frotté d’un onguent spécial qui rend la peau si dure qu’aucun acier ne peut la percer. C’est donc sûr de lui qu’il combat Gallien. Mais ce dernier va découvrir le moyen de le tuer grâce à un bâton, puisque le fer de son épée Flamberge ne sert à rien…
Extraits du chapitre XXXII, p. 56-57. « Gallien et le roi Pinard recommencèrent leur bataille plus fort que devant, et le roi Pinard frappa Gallien si rudement dessus son heaume qu’il lui en emporta une grande partie ; quand Gallien sentit le coup, il en fut fort courroucé ; il appointa Flamberge droit à la gorge du roi dont il fut fort étonné. »
Il prie Dieu de l’aider, car il sent bien qu’il ne pourra venir à bout d’un tel adversaire « mais telle chose que Gallien fît, il ne le put blesser ni endommager. Le roi Pinard vit le courage de Gallien et lui dit : Chrétien, penses-tu à cause que j’ai la chair nue que tu me pourras blesser ? Tu te trompes, et tu peux connaître qu’aujourd’hui je te ferai comme j’ai fait au comte Olivier, auquel j’ai passé mon épée à travers le corps.
Gallien l’entendant parler de la manière, se mit dans une grande fureur contre lui, et par le vouloir de Dieu, il s’imagina que puisqu’il ne pouvait blesser Pinard avec son épée, qu’il lui fallait prendre un gros bâton pour combattre contre lui.
Il demanda permission au roi Pinard de descendre de dessus son cheval, faisant feinte que les sangles étaient détachées, ce que Pinard lui accorda ; aussitôt que Gallien eut mis pied à terre, il ôta ses éperons, puis déceignit son épée et la pendit à l’arçon de sa selle. Dans le moment il aperçut dans un buisson un gros bâton de néflier, il le coupa et fut droit au roi Pinard, lequel croyait que Gallien voulait se rendre à lui, mais c’était bien le contraire, car Gallien vint au roi Pinard et lui dit : Allons, païen, je veux essayer ce bâton sur ton corps, il faut finir ta vie par quelque endroit.
Incontinent le roi Pinard qui était à cheval, vint à toute bride sur Gallien, il leva son épée croyant l’en frapper, mais Gallien leva son bâton, et en donna un tel coup au roi Pinard dans le poignet qu’il lui fit tomber son épée. Puis il lui donna un autre coup sur la tête, dont il le jeta par terre, puis se jeta sur lui, et lui donna tant de coups de bâton que le sang lui sortait de toutes parts. Après que Gallien l’eut battu de cette façon, et qu’il ne remuait plus ni pieds ni jambes, il le prit par les cheveux et le traîna dans la rivière qui était proche là. »
Gallien n’abandonne pas son précieux bâton pour autant, car au chapitre suivant, il doit combattre trente païens qui étaient cachés, attendant l’issue du combat, et qui veulent à présent venger leur roi.
» Quand Gallien les aperçut, il monta aussitôt dessus son cheval, il n’y fut pas plutôt monté qu’il fut environné de tous côtés de ces trente païens qui l’attaquèrent rudement. Mais Gallien se défendait avec un merveilleux courage, car de son bâton il jetait par terre tout ce qu’il pouvait attraper. Comme il se combattait violemment avec son bâton, il y en eut un qui le coupa en deux, ce qui chagrina fort Gallien car il pensait que ces maudits païens eussent la chair aussi dure que celle de Pinard. Mais comme il n’avait plus de bâton pour combattre ses ennemis, il tira Flamberge son épée, et en donna de si grands coups à un des païens, qu’il le tua. Quand Gallien vit qu’il n’avait pas la peau dure, il fut bien joyeux, il prit courage et se mit avant dans la bataille contre lesdits païens. »
Malheureusement, plus il en tue, plus il en arrive d’autres et il fait sa dernière prière… et à ce moment surviennent ses compagnons d’armes qui vont le secourir !
Deux remarques sur ce récit épique. La première, c’est l’emploi d’un bâton, arme de vilain, pour tuer un roi païen. L’instrument ne pouvait être noble (l’épée) pour occire un être éminemment vil, puisque roi des païens.
Ensuite, on remarquera la similitude entre ce récit et ce que Marco Polo rapporte dans le « Devisement du monde », à propos de gardiens japonais auxquels les soldats du grand Khan ne peuvent trancher la tête. Des pierres magiques les protègent en effet du fer. Il les fait donc tuer à coups de bâton. Voir l’article : Le bâton plus fort que le fer selon Marco Polo.
L’illustration représente un bois gravé de 1500, où l’on voit deux cavaliers s’affrontant. Elle figure dans Paul Kriestler : Gravures sur bois, illustrations de la Renaissance florentine ; L’Aventurine, 1996.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci