Le « Journal des voyages », hebdomadaire de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, renferme des récits d’explorateurs européens dans des régions jusqu’alors peu fréquentées par les Occidentaux. Ces récits sont intéressants sur le plan ethnographique et scientifique, mais présentent l’inconvénient d’être toujours rédigés avec les préjugés et le sentiment de supériorité des Européens rencontrant des peuples « sauvages » et « non civilisés ». C’est une vision coloniale qui transparaît dans ces récits et souvent même franchement raciste.
Dans le n° 119 du 12 mars 1899 le comte J. de BRETTES rapporte sa rencontre avec « une race inconnue, au pays des Pieschis », à la suite de son voyage de 1896. Les Indiens Pieschis vivaient en Colombie « dans les monts de Macouïra, d’Itouhoro, Paraschi et les montagnes d’Alaourh ».
Avant de les rencontrer, l’explorateur, embarqué sur le Chazalie, accoste à Bahia-Honda, où il n’y a qu’un fortin tenu par un représentant de l’Etat surnommé Choï et quelques soldats. C’est là que se produit un incident entre des femmes indiennes et des matelots :
« Des matelots du Chazalie descendent à terre et nous escortent dans une promenade à deux milles du poste. Nous atteignons la rancheria de Bahia-Hondita.
Des misérables huttes, surgissent des femmes emmenant des enfants nus, fillettes et garçons, qu’elles nous offrent en vente.
Un sac de maïs suffit pour acheter un jeune esclave.
Les matelots, des Bretons, s’exclament et c’est à grand’peine que nous les empêchons de faire un mauvais parti aux mégères indiennes vendeuses d’enfants. Des bordées de jurons s’échappent de leurs bouches indignées, tandis qu’ils lèvent des bras furieux et menacent les marchandes de chair rouge.
« Ah ! malar’ doué ! les faillis chiens d’sauvages ! ».
La traite est théoriquement abolie en Colombie : pourtant pas un des subordonnés de Choï qui ne possède quelque esclave indien, de l’un ou l’autre sexe ; évidemment c’est commode et peu coûteux ; la misère est telle en ce pays, qu’une mesure de maïs, une chèvre suffit pour acheter un enfant de douze à quatorze ans. Voilà pour les Indiens le bienfait de leur contact avec des civilisés ! »
L’illustration illustre la scène, toute à l’honneur des matelots bretons et à la honte des mères d’enfants proposés comme esclaves. Mais représente-t-elle la réalité ? Les matelots n’ont-ils pas, tout simplement, repoussé brutalement ces Indiennes pour permettre à leur chef d’avancer loin d’elles ? Ont-ils fait preuve d’indignation, fustigeant les Indiennes, ou de répulsion au contact des indigènes ? Pourquoi la gravure les montre-t-ils armés de bâtons plutôt que de fusils, comme on pourrait s’y attendre ? N’ont-ils pas brandi la crosse des fusils plutôt que des bâtons ? On ne le saura jamais…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci