Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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SAINTS, SOURCES ET BATONS PAR PAUL SEBILLOT – 1

Il existe de nombreuses légendes qui font naître des sources à la suite du choc d’un bâton sur le sol ou un rocher. Cet usage particulier du bâton a été abordé lors des articles Les bâtons des saints sourciers et Le bâton de saint Uniac.
Revenons sur le sujet en laissant la parole à Paul SEBILLOT (1843-1918), éminent « folkloriste » (on dirait aujourd’hui « ethnologue »), qui a étudié ces légendes dans son œuvre « Le folklore de France » (1904-1906).
En 1983, les Editions Imago ont réédité cet ouvrage par thèmes et celui qui nous intéresse concerne « Les eaux douces ».
Compte tenu de la longueur du texte, il fera l’objet de deux articles.

« D’autres fontaines se sont montrées depuis (la création de la mer et des rivières) dans des circonstances merveilleuses que l’on raconte dans leur voisinage. Un grand nombre ont commencé à couler à la suite d’actes accomplis par des entités surnaturelles ou sacrées, et plusieurs même en sont des émanations directes. (…) Ces fées locales, dont le nom et les gestes sont, ainsi qu’on le verra, si souvent en relation avec les fontaines, avaient créé, en frappant le sol, plusieurs de celles dont l’eau est particulièrement limpide.
Suivant un dire populaire au XVe siècle, la source thermale de Domrémy, qui coulait au pied de l’arbre des fées où Jeanne d’Arc avait eu ses visions, avait jailli sous la baguette des bonnes fées. A Condé-sur-Noireau, une fée avait, de la même façon, produit, pour la commodité de ses sœurs, une source qui s’appelle encore la Fontaine-aux-Fées. Les fontaines de N.-D. de Larré-en-Plessé, de Planté-en-Campbon, de Rioven-Guenrouet (Loire-Inférieure) devaient leur origine à la baguette de trois fées, qui étaient sœurs. Je n’ai retrouvé que dans un seul conte français l’épisode de la source qui jaillit grâce à ce procédé : pour procurer de l’eau à une ville qui en était dépourvue, il suffit de frapper trois coups avec la racine d’un certain arbre, sur un rocher qui s’élève au milieu de la cité, en disant : « De l’eau ! de l’eau ! »

Suivant des légendes assez nombreuses et que l’on rencontre à peu près dans toute la France, le bâton des saints joue le même rôle que la baguette des fées dans la création des sources, mais les bienheureux imitent l’acte de Moïse dans le désert, ou plutôt il semble, comme l’a fait remarquer Alfred Maury à propos des légendes pieuses en général, que nombre de celles de cette série ont été calquées sur la Bible. Dans plusieurs récits, le rite observé est exactement celui dont se servit le prophète hébreu, et parfois les thaumaturges le rappellent expressément dans la prière qui le précède.
Saint Efflam, voulant désaltérer le roi Arthur qui combattait le dragon, invoque le Seigneur en disant : « Vous qui avez octroyé de l’eau au désert à votre serviteur Moïse, vous plaise donner de l’eau à vos serviteurs » puis, avec son bourdon, il frappe trois fois la roche d’où jaillit la source de Toul saint Efflam.
Saint Aubert au Mont-Saint-Michel, saint Guénolé à Landevennec, frappent le roc avec leur crosse pour que les ouvriers qui bâtissent leur monastère aient de l’eau à proximité. Cet épisode est d’ailleurs si fréquent dans les vies des saints que je ne rapporterais pas ceux qui suivent s’ils ne se liaient à des actes charitables, accompagnés de circonstances intéressantes.

Sainte Odile, déjà courbée par l’âge, remontait le sentier du Hohenbourg, quand elle rencontra un vieillard près d’expirer de fatigue et de soif ; voyant qu’elle n’aurait pas le temps d’aller chercher du secours au couvent, elle fit une fervente prière et frappa de son bâton le rocher d’où jaillit une eau abondante.
Saint Loup, évêque de Châlon, plein de compassion pour des moissonneurs altérés, créa de la même manière la fontaine de Saint-Loup-des-Varennes. Un jour que saint Hermeland traversait l’herbage de Rabodanges, il vit des bestiaux courir çà et là, affolés par la soif ; son cœur s’émut de pitié, et, ayant invoqué Dieu avec ferveur, il frappa avec son bourdon le sol aride, d’où sortit la fontaine qui porte son nom. Quand saint Martin parcourait le Bocage pour convertir les païens, il rencontra une jeune fille qui marchait d’un pas rapide, tenant de sa main une cruche debout sur son épaule ; lui ayant demandé ce qui la faisait se hâter de la sorte, elle répondit qu’elle était obligée, tous les jours, d’aller chercher de l’eau bien loin. Le saint, pour lui éviter cette longue course, frappa de son bâton un rocher qui se fendit et laissa échapper une source limpide.
Saint Cénéré (Maine), voyant passer près de son ermitage deux servantes d’un château voisin qui allaient puiser de l’eau à une fontaine assez éloignée, les pria de le débarrasser des poux qui l’incommodaient : l’une lui rit au nez et continua sa route ; l’autre répondit qu’elle lui rendrait volontiers ce service si elle n’avait peur d’être en retard. Le saint la rassura, en affirmant qu’elle serait de retour au château avant sa compagne. Dès qu’elle eut commencé sa charitable besogne, l’ermite lui dit de cesser parce qu’il avait voulu seulement éprouver son bon cœur ; il frappa le rocher auquel il était adossé, et la servante put remplir sa cruche à la source vive qui en coula aussitôt.
La fontaine Saint-Martial d’Espartignac (Limousin) jaillit sous le bâton du saint auquel une femme, rencontrée près de là, avait refusé à boire. Ce bienheureux, manquant d’eau pour baptiser les habitants du Soullier, y fit sourdre de la même manière la fontaine Saint-Martial. »

L’image illustrant cet article est une représentation de sainte Odile tenant sa crosse d’abbesse, une des saintes et saints cités par Paul Sébillot comme étant à l’origine de sources nées au contact de leur bâton.

A suivre…

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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