Voici la fin de l’histoire d’une grande jeune fille, Georgette Besiche, fille d’un sculpteur de pommes de cannes, qui rencontre Antonin Valgamay, clerc de notaire de petite taille.
« Mme Besiche se trouvait avec Georgette au magasin, lorsqu’un petit homme tourna le bouton, entra en se confondant en politesses, et, se frottant les mains, sans doute par manière de contenance, se mit à parler avec une extrême volubilité. Il voulait une canne, et une des mieux soignées, des plus élégantes, car pour un tel objet il n’y avait pas de milieu. D’abord on en portait ou on n’en portait pas, c’était affaire de goût, mais il estimait, lui, qu’un homme n’est pas complet si, en arpentant la grande rue, le quai ou le mail un jour de repos, il n’a, d’une part le cigare aux lèvres et les gants mi-hors de la pochette, et, d’autre part, une canne à la main. Et non pas un de ces vulgaires morceaux de bois, de jonc ou de bambou, grillés ou vernis à la douzaine, misérables articles de bazar qu’on s’offre pour vingt sous.
Non, il voulait une chose de prix, portant la marque de l’art, qui, adroitement mise en évidence au moment d’une rencontre ou au cours d’une conversation, vous pose mieux que ne ferait le chiffre de votre fortune inscrit en toutes lettres sur votre chapeau. En un mot, sans vouloir parodier une expression célèbre, il était fermement convaincu que la canne c’est l’homme. Connaissant la réputation de M. Besiche, il venait avec confiance auprès du maître des maîtres… Il n’était pas pressé… on prendrait son temps… l’essentiel était de faire bien. »
Mme Besiche apprend que son client – très petit de taille – se nomme Antonin Valgamay, licencié en droit, actuellement clerc de notaire. Il demande enfin :
« – A propos ! est-ce que M. Besiche serait… absent ?
M. Besiche était présent. Occupé dans son atelier à sculpter un horrible scorpion sur la poignée d’une canne longue de deux mètres, il n’avait, grâce à la porte entr ‘ouverte, pas perdu un mot du monologue d’Antonin. (…) Tout en l’écoutant, Antonin sortait de sa poche un élégant portefeuille d’où il tira cinq ou six portraits-cartes représentant, sous des poses différentes, un bel épagneul à la robe blanchâtre parsemée de nombreuses taches noires. Alors qu’il était petit enfant, ce chien lui avait sauvé la vie en le retirant d’un bassin au bord duquel il jouait imprudemment. La noble bête était morte de vieillesse, et la reconnaissance l’obligeait à conserver ses traits : voilà ce qu’il voulait au pommeau de sa canne… beau sujet d’études pour M. Besiche… et un grand soulagement pour lui-même lorsqu’il pourrait avoir à la main, là, sous les yeux, le portrait très ressemblant de son fidèle ami. »
Le petit clerc de notaire échange aussi avec Georgette, la très grande Georgette. Le courant passe bien entre eux et la différence de taille s’efface au profit de la qualité de leurs conversations. Le clerc de notaire amoureux revient régulièrement chez les Besiche. Le sculpteur reprend goût au travail et ses créations sont plus gracieuses. Finalement, Antonin et Georgette se marient et ont des enfants de taille moyenne…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci