Voici la suite du long poème évoquant la canne à travers les âges, oeuvre d’un nommé C. FOURNIER, publiée à Paris en 1858. Nous en étions restés au XVIIIe siècle. Voici la Révolution française…
« Plus près de notre temps, on voit le muscadin,
En pantalon collant, chaussé de l’escarpin,
Portant le feutre à claque, et figure de même,
Grasseyant, minaudant, près de l’objet qu’il aime,
Caressant un gourdin, comme en peuvent avoir
Les conducteurs de boeufs allant à l’abattoir.
Au Cercle, au Jockey-Club, si, de nos jours, la mode,
D’une toilette outrée a promulgué le Code,
Si cette loi permet au gentleman-rider
Un drôle de costume, avec un drôle d’air,
Surtout quand aux trois quarts il cache sa figure
Sous un voile couleur de bistre ou de verdure,
Du moins le stick qu’il porte est, sous ce nom anglais,
Léger, souple et pliant, comme l’esprit français.
Vous souvient-il du jour, où, proscrit politique,
Arnault, en ranimant l’élan patriotique,
Dans son « Germanicus », nous avait rappelé
Le jeune Roi de Rome… encore un exilé !
La Canne pénétrait alors dans le parterre.
En joua-t-on, grand Dieu ! c’était comme un tonnerre
Qui, parmi les éclats des applaudissements,
Foudroyait sans répit le dos des opposants.
Du parterre, depuis, la Canne fut exclue ;
Mais, dès ce jour, ce fut une chose reçue,
Qu’en voyant un bâton orné d’angles aigus,
Tout le monde disait : « c’est un Germanicus ! ».
Au boulevard de Gand un dandy se dandine ;
Sa main avec un jonc élégamment badine ;
Non loin de là, Pradier, prestidigitateur,
Lance son court bâton à très grande hauteur ;
Et puis, vous entendez, le long de la chaussée,
D’un régiment entier la marche cadencée ;
Quel solide gaillard que le tambour-major !
Sa canne de six pieds, avec des tresses d’or,
Sa taille… de six pieds… et son geste Olympique,
Voilà ce qui perdit Joséphine, Angélique…
Et qui résisterait à tant de majesté,
Quand il brandit ce sceptre avec solennité !
Une autre à celle-là peut être comparée,
C’est celle qui, de fleurs et de rubans parée,
Sert tantôt de symbole, et tantôt d’assommoir,
Au nomade ouvrier, Compagnon du devoir ;
Ou cette gaule alpestre, à solide ferrure,
Dont le crochet défend de sinistre aventure
Le touriste affrontant les glaces et le roc…
Ah ! combien d’imprudents a sauvé l’Alpenstock !
Au pied de ces glaciers, dans un riant village,
Dont les eaux du Léman caressent le rivage,
Au château de Ferney, par Voltaire habité,
Un charmant souvenir longtemps était resté.
C’était sa Canne unique ! il n’est que le concierge
Qui puisse supputer de cette Canne-vierge
Combien de fois il a vendu l’échantillon
Aux voyageurs… surtout aux enfants d’Albion.
De la Canne à présent dirai-je les usages,
Les spécialités, les divers avantages ?
Canne en fer, Canne à dard, Canne à pêche, à fusil,
Canne à flûte, instrument commode, et double outil,
Canne à lorgnette, à chaise, ombrelle et parapluie,
La famille, on le voit, en nombre est infinie…
De Verdier, de Cazal les magasins brillants
Satisferaient le goût d’un millier de chalands.
Quant au choix des sujets, au profit des adeptes,
Je ne donnerai pas d’inutiles préceptes…
Je comprends qu’on préfère, en fait d’ivoire ou d’os,
La dent de cachalot et le Rhinocéros ;
Le houx, le noisetier, et le charme et l’érable,
Sont d’un genre peut-être assez peu confortable ;
Mais le bambou, le jonc, apanage des « beaux »,
Sont de ceux qu’on enferme en de soyeux fourreaux.
Je dissertais ainsi, faisant ma promenade,
Quand je vois un pendard passer, par escalade,
Dans une basse-cour, et ressortir soudain,
L’air inquiet, tenant une Cane à la main…
La pauvre bête hélas ! criait… comme une bête
Qui sent qu’en son honneur la casserole est prête.
Je m’élance… au collet j’empoigne mon coquin :
« Tu vas, lui dis-je, gueux, tâter de mon rotin ! »
Je lui fais lâcher prise, et je donne d’emblée,
A la Cane son vol, au drôle une volée,
Heureux de l’envoyer se faire pendre ailleurs,
Et d’avoir constaté qu’aux emplois les meilleurs
Une Canne était bonne, et suffisait de reste
Pour prendre au malfaiteur mesure d’une veste…
Qu’on se le dise donc… car, dans l’occasion,
Cette morale est bonne à mettre en action…
Pour moi, je crois, après la susdite tournée,
Avoir, comme Titus, bien rempli ma journée ! »
La gravure illustrant cet article représente des habitants de la Forêt-Noire, en Allemagne, portant une canne ; elle est extraite du « Musée des familles » de juillet 1860, p. 301
Article rédigé par Laurent Bastard, merci