Le musée du Compagnonnage de Tours renferme une canne qui semble unique en son genre. Longue de 130 cm, elle est entièrement revêtue d’un habillage très fin en corde de chanvre, ne laissant apparaître aucune partie des matériaux enfermés : ni le jonc, ni l’embout métallique, ni la pomme de bois ou de corne.
Elle est présentée dans la section des compagnons cordiers du Devoir et plus précisément dans une vitrine dédiée au compagnon Louis BARTHES dit « Plein d’Honneur le Languedocien » (1868-1942). Elle était jusqu’à présent attribuée à ce compagnon, qui connut une certaine célébrité durant près de cinquante ans. Né à Marseillan, dans l’Hérault, reçu compagnon à Nantes en 1886, il s’établit en 1895 à Tours, dans le quartier des Halles. Sa corderie diffusait de nombreux articles, dont des filets de pêche.
Louis Barthès fut l’un des derniers compagnons cordiers. Conscient qu’il fallait tenter de relever sa corporation, avec l’accord de ses « Pays » du reste de la France, il fonda en 1899, à Tours, un siège susceptible d’accueillir les jeunes itinérants de son métier et en fit recevoir compagnons quelques-uns. Le siège était établi chez la Mère Brault, hôtesse de l’hôtel de la Croix-Blanche, place de Châteauneuf. Elle était aussi la Mère des compagnons maréchaux-ferrants du Devoir.
Revenons à la canne. En 1968, à la fondation du musée du Compagnonnage, Roger Lecotté, son conservateur et fondateur intégra une partie des collections de l’ancien musée compagnonnique de Tours, fermé depuis une dizaine d’années . Parmi les objets figurait la fameuse canne recouverte de corde. Il pensa qu’elle avait été confectionnée, comme les autres chefs-d’oeuvre, par Louis Barthès.
Or, le dépouillement du journal « Le Ralliement des compagnons du Devoir » nous a révélé une surprise. Dans le numéro 387 du 12 novembre 1899, p. 4-5, il est question d’une canne fabriquée par un autre compagnon cordier et offerte au siège de Tours à l’occasion de sa fondation. Laissons la parole au rédacteur du compte rendu de la fête compagnonnique de Loudun (Vienne), qui eut lieu le 8 octobre 1899 :
« Mes amis les Compagnons cordiers de Tours sont allés voir les beaux travaux de corderie de notre ami Pion, l’Assurance le Poitevin. (…) En faisant notre entrée dans la salle du banquet une surprise agréable attendait les compagnons cordiers, c’est la vue d’une superbe canne de compagnon faite par le compagnon Pion, pour l’offrir à la chambre des Compagnons cordiers de Tours ; ce chef-d’oeuvre d’un goût exquis fait l’admiration des compagnons présents et tous sont unanimes à féliciter le compagnon Pion pour l’amour qu’il professe pour sa profession de cordier. Bientôt les compagnons de la Touraine vont pouvoir se rendre compte par eux-mêmes en venant voir chez la Mère des compagnons maréchaux et cordiers, ce beau travail qui sera exposé dans la belle et grande salle des compagnons maréchaux qui est déjà ornée de chefs-d’oeuvre concernant la maréchalerie. »
Plus loin, voici un extrait du discours du compagnon Prédhumeau, cordonnier et président des compagnons du Devoir de Loudun : « Je croirais aussi manquer à un devoir bien sacré, si je ne venais féliciter notre digne frère, le compagnon Pion, du zèle et du dévouement qu’il a toujours témoignés en toutes circonstances pour le Compagnonnage, qui, malgré son âge avancé, n’a pas craint de mettre son talent à l’épreuve pour vous faire et vous offrir un chef-d’œuvre, chers compagnons cordiers, en vous offrant celui que nous admirons tous, et qui dans votre société perpétuera toujours ce nom vénéré de l’Assurance le Poitevin. Quelle sublime et délicate pensée de vous offrir pour marque de son attachement cette magnifique canne compagnonnique, emblème de nos gloires et ne servant aujourd’hui que pour la paix et la concorde. »
Enfin, l’heure du retour à Tours sonna et le rédacteur ajoute : « Il va sans dire que mes amis la Victoire le Breton et Plein d’Honneur le Languedocien n’ont pas oublié dans le train la belle canne de l’Assurance le Poitevin. C’est la coterie Antier qui a voulu faire la boîte d’emballage pour qu’elle arrive à destination intacte. »
C’est donc cette canne, fabriquée à Loudun en 1899 par Pion dit l’Assurance le Poitevin, qui fut remise à Louis Barthès pour le siège des compagnons cordiers de Tours. Sa société s’étant éteinte dès avant 1914, Barthès la remit au musée compagnonnique qui avait été fondé en 1911. Puis elle intégra le musée du Compagnonnage de Tours, où elle se trouve encore, cent-quatorze ans plus tard…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci