Un même rite peut exprimer une volonté humaine différente : il en est ainsi de celui de frapper la mer avec un bâton ou une baguette. Mais dans les exemples qui vont suivre, le bâton est toujours un symbole d’autorité, celui qui transmet la volonté humaine à un élément considéré comme une force primitive d’où tout peut jaillir, la tempête, le bien ou le mal. L’orgueil humain est sans limite quand il veut commander les éléments à son profit. Mais il est rarement obéi…
L’historien grec Hérodote rapporte d’abord que le roi Xerxés, au printemps de 480 av. J.-C., commanda de construire deux ponts de bateaux sur le détroit de l’Hellespont qui sépare l’Asie de l’Europe. Mais, une fois achevés, ils furent emportés par une violente tempête. Alors Xerxés, fou de colère, ordonna de frapper la mer de 300 coups de fouet, d’y jeter une paire d’entraves et de marquer les eaux au fer rouge !
Il s’agissait là de punir la mer pour avoir résisté à sa volonté.
Au contraire, comme le rapporte Jean MERRIEN dans « Le Légendaire de la mer » (Robert Laffont, 1969, p. 131), « la flagellation peut avoir pour dessein de mettre la mer en colère : attaqué par Charles Quint en 1541, le Barbaresque Ouali Dahdah entre dans l’eau jusqu’à la ceinture, dit des mots magiques et frappe la mer à coups redoublés avec des baguettes. La pluie et la tempête surviennent, les « croyants » sont galvanisés, et Charles Quint est repoussé. »
Et pour finir, il faut citer ce savoureux extrait du prologue au Roman de Renart, écrit par plusieurs auteurs entre la fin du XIIe et le milieu du XIIIe siècle. Voici ce texte où interviennent Adam et Eve, dans la version transcrite à la fin du XIXe siècle par Paulin PARIS et rééditée en 1966 (Nouvel Office d’Edition Pierre Belfond, p. 18-19) :
« Le Livre nous dit donc que le bon Dieu, après avoir puni nos premiers parents comme ils le méritaient, et dès qu’ils furent chassés du Paradis, eut pitié de leur sort. Il mit une baguette entre les mains d’Adam et lui dit que, pour obtenir ce qui lui conviendrait le mieux, il suffisait d’en frapper la mer. Adam ne tarda pas à faire l’épreuve : il étendit la baguette sur la grande eau salée ; soudain il en vit sortir une brebis. « Voilà, se dit-il, qui est bien ; la brebis restera près de nous, nous en aurons de la laine, des fromages et du lait. »
Eve, à l’aspect de la brebis, souhaita quelque chose de mieux. « Deux brebis, pensa-t-elle, vaudront mieux qu’une. » Elle pria donc son époux de la laisser frapper à son tour. Adam (nous le savons pour notre malheur) ne pouvait rien refuser à sa femme : Eve reçut de lui la baguette et l’étendit sur les flots ; aussitôt parut un méchant animal, un loup, qui, s’élançant sur la brebis, l’emporta vers la forêt voisine. Aux cris douloureux d’Eve, Adam reprit la baguette : il frappe ; un chien s’élance à la poursuite du loup, puis revient, ramenant la brebis déjà sanglante.
Grande alors fut la joie de nos premiers parents. Chien et brebis, dit le Livre, ne peuvent vivre sans la compagnie de l’homme. Et toutes les fois qu’Adam et Eve firent usage de la baguette, de nouveaux animaux sortirent de la mer : mais avec cette différence qu’Adam faisait naître les bêtes apprivoisées, Eve les animaux sauvages, qui tous, comme le loup, prenaient le chemin des bois. » Et du nombre se trouvait le goupil, alias maître Renard…
Au-delà du caractère évidemment mysogine du texte, dans la continuité de la Genèse, on retiendra que la mer est considérée comme le réceptacle de toutes les créatures vivantes, ce que l’histoire naturelle confirme dans une certaine mesure.
Sur les bâtons qui commandent à la mer, voir aussi les articles : la mer obéit au bâton de saint Gudwall et La puissance du bâton de Moïse.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci