Dans l’article La fabrication des cannes-épées et des cannes à dard, ce dernier instrument a été juste survolé. Le moment est venu de revenir sur cette canne doublée d’une arme, dont les premières traces remontent au moins au XVIIe siècle.
Voici d’abord quelques lignes sur sa fabrication, extraites de A. PAULIN-DESORMEAUX : « Manuel de l’armurier, du fourbisseur et de l’arquebusier » (1832). Page 292, à la suite de la fabrication des cannes-épées, l’auteur indique que : « La canne à dard varie encore davantage dans ses formes : tantôt le dard est placé dans la poignée, tantôt dans le bout, quelquefois des deux bouts. Lorsque le dard ou lame est caché dans la poignée, ce qui est le plus ordinaire, il est caché par un clapet à ressort qui bouche l’endroit de sa sortie. On donne une forte secousse, la lame se projette en dehors, et un ressort à cliquet s’engage dans un cran pratiqué dans le talon de la lame et la retient hors du fourreau.
Chaque armurier a sa méthode pour mieux déguiser le secret de cette lame ; assez souvent il ne s’agit que de peser sur une goupille cachée qui comprime le ressort pour que la lame rentre d’elle-même dans la canne et que le clapet se referme. Lorsque le dard sort par le bout opposé, il n’y a pas de clapet ; mais un faux bout qui se visse sur le bout à demeure ; l’action de dévisser un bout suppose qu’on se sera méfié à l’avance et qu’on aura prévu l’attaque. Aussi cette méthode est-elle moins suivie que celle de la lame placée dans la pomme qui peut être mise dehors par le seul fait du premier coup lancé contre l’adversaire. La saillie des dards hors de la canne est facultative, mais elle ne s’éloigne guère que de deux décimètres. Une canne à dard bien exécutée est une arme de prix et de bonne défense. »
On trouve aussi d’utiles informations sur la fabrication des cannes à dard dans « L’Art du coutelier », de Jean-Jacques PERRET, maître coutelier à Paris (1771).
La dangerosité de cette arme cachée l’a fait prohiber très tôt par la loi. Elle est d’ailleurs toujours interdite. Un édit de décembre 1666, repris dans une ordonnance de police concernant la sûreté publique, en date du 4 novembre 1778, interdit en effet la fabrication de toutes sortes d’armes dont les « bâtons et cannes à dard », sous peine de leur confiscation et de 500 livres d’amende. Il est aussi interdit de les porter.
La rubrique des faits divers aux XVIIIe-XIXe siècles est fréquemment alimentée par des actes délictueux où interviennent des cannes à dard. En voici quelques uns.
Louis PETIT de BACHAUMONT, dans ses « Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République » signale que le 21 février 1783 un jeune seigneur nommé Choiseul-Meuze accroche son cabriolet à un fiacre. Excédé par sa maladresse et celle du cocher de fiacre, il assène à ce dernier 25 coups de canne. Le cocher, pour se défendre, réplique avec son fouet, ce qui met en rage Choiseul-Meuze. « Alors celui-ci a tiré le dard renfermé dans sa canne et en a lardé le (cocher de) fiacre à coups répétés, qui l’ont enfin fait tomber de son siège. » La foule conduit l’irascible seigneur au commissaire de police, qui se contente de lui faire remettre une somme d’argent pour soigner le blessé et de se tenir à la disposition de la justice, au lieu de l’emprisonner. La mort du cocher semble inévitable. »
Le même auteur rapporte que le jardin du Palais-Royal « devient le réceptacle de tous les mauvais sujets de Paris ». L’un d’eux, le 31 juillet 1785, a « attaqué une femme, et celle-ci ne répondant pas aux désirs de l’impudique, il lui asséna un coup de canne à dard et lui fit une blessure grave. »
Le « Dictionnaire universel historique, biographique, bibliographique et portatif » de 1803 rapporte la fin tragique de ROLAND de LA PLATIERE, ancien inspecteur royal des manufactures et ministre au début de la Révolution. Accusé de menées contre-révolutionnaires, il s’enfuit à Rouen « où, ayant appris que sa femme avait péri sur l’échafaud, il résolut de mourir. Il exécuta ce projet à quatre lieues de Rouen, en se perçant le coeur d’une canne à épée dans la nuit du 15 au 16 novembre 1793″.
A suivre…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci
Voici une découverte littéraire sur la canne à dard, issue du roman de Jean de la VARENDE (1887-1959) : « Le Centaure de Dieu », publié chez Grasset en 1938. L’auteur évoque la venue du gentilhomme Nez-de-Cuir (mutilé de 1814 et qui portait un masque):
« Les palefreniers brillaient d’orgueil quand l’illustre Nez-de-Cuir claqua de la langue en pénétrant dans leur domaine.(…) lorsque l’homme au masque s’éloigna, appuyé sur une forte canne d’ivoire qui lui servait habilement à dissimuler sa boiterie (canne en deux pièces qui se vissaient, pour les fontes, et d’où pouvait sortir une pointe d’épée) les gens d’écurie se sentirent fiers d’aider pareils seigneurs… »
(les fontes sont des sacoches à rabats accrochées au harnachement d’un cheval, notamment pour y transporter des armes).
Il s’agit bien ici d’une canne à dard et non d’une canne-épée puisque n’en sort qu’une « pointe d’épée ».