Le livre de souvenirs d’Antoine SYLVERE : « Toinou, le cri d’un enfant auvergnat », publié en 1980 aux Ed. Plon, collection Terre Humaine, est l’un des plus poignants qui aient été écrits sur l’enfance malheureuse. Antoine Sylvère (1888-1963), natif du pays d’Ambert, dans le Puy-de-Dôme, connut non seulement une enfance marquée par les coups et mille dangers, mais aussi une adolescence difficile qui le conduisit à s’engager dans la Légion. Mais il était d’une trempe à résister à toutes les misères de la vie…
Il nous raconte ses débuts à l’école dirigée par la terrible soeur Saint-Vincent, dont la pédagogie inexistante se résumait à des coups de baguette sur les doigts et autres violences physiques.
Voici des extraits de ce terrifiant récit. Il commence à décrire sa première journée… Il avait alors quatre ans.
P. 32-33 : « Une soeur à lunettes, énorme et barbue, me traîna par le bras le long d’un couloir, dans une salle éclairée de deux fenêtres où des gamins psalmodiaient des phrases sans fin que je ne comprenais pas.(…)
Mais dans un coin, près du tableau, se tenait une petite Soeur, toute jeune, gracieuse et menue, que je me mis à dévorer des yeux et qui devint aussitôt mon unique espoir.
- Soeur Marie, amenez le nouveau.
Sur cet ordre de la vieille, la petite Soeur vint me prendre par l’épaule et me conduisit près de la table. D’une main, la grosse femme m’empoigna, de l’autre, elle prit la baguette :
- Ecoute-moi bien, dit-elle en me jetant un regard terrible ; je n’aime pas répéter longtemps la même chose. Nous allons apprendre nos lettres. Et du bout de sa baguette, elle m’indiqua le premier des dessins informes que je voyais dans le livre (…) Maintenant, ces trois lettres, tu dois les reconnaître partout où tu les rencontreras. Compris ? (…)
Je n’en reconnaissais aucune ; ni le A avec ses deux jambes, ni le B avec ses deux ventres, ni le C avec son gros dos n’avaient retenu mon attention. Je ne voyais que deux énormes carreaux : les lunettes de la vieille.
Un cinglant déluge de coups de baguette sur le bout de mes doigts vint m’arracher à ma contemplation. C’était plus douloureux que tous les châtiments connus. Je sombrai dans une terreur sans nom et toutes les écluses de mon corps s’ouvrirent en même temps. Un flot s’échappa de ma robe comme une gouttière et remplit la galoche de la vieille qui me gardait emprisonné dans l’étau de ses cuisses.
- Oh ! le petit sale ! glapit-elle. Soeur Marie, prenez du papier et menez le « aux lieux ». »
Antoine Sylvère raconte aussi l’épisode au cours duquel un petit garçon osa se révolter :
P. 38-39 : « Selon l’usage, au commandement, Soeur Marie amena le petit près de la caisse que Soeur Saint-Vincent appelait : le trône. La vieille prit la main du Jean-Marie et, désignant les caractères du bout de la verge de noisetier, commença son explication.
Il est temps de préciser que la redoutable religieuse avait à sa disposition plusieurs séries de baguettes qui fixaient promptement les élèves, tant sur la résistance que sur la densité de certaines essences. Les verges de noisetier étaient utilisées pour un entraînement préliminaire. De là, on passait aux verges de génévrier qui étaient plus cinglantes ; enfin, la verge de buis était réservée aux doigts particulièrement insensibles et pouvait développer les esprits les plus obtus.
Soeur Saint-Vincent ne manquait pas de matériel. Ses élèves de la campagne battaient les fourrés et dévalisaient les jardins pour lui procurer des verges de bonne longueur, parfaitement droites et calibrées. C’était une excellente manière de lui faire la cour. Toutefois cela n’empêchait pas les fournisseurs d’être les premières victimes de leurs fournitures mais leur zèle ne s’en trouvait point refroidi pour autant. Voilà qui, hélas, confirme bien que les coups sont le meilleur moyen d’amener les petits d’homme au degré d’abjection et de bassesse souhaitable chez les enfants du peuple.
Le petit bonhomme n’avait point la larme facile ; les yeux secs, sans un cri, il se mit à sucer ses doigts avec une profonde application, sans paraître se rendre compte que la nonne lui prenait l’autre main. Sur celle-ci commencèrent alors à pleuvoir des coups redoublés mais le Jean-Marie ne parut pas s’en émouvoir davantage, comme s’il eût été parfaitement naturel que la main droite jouisse des privilèges dont avait déjà bénéficié la main gauche. La Soeur se mit alors à tourmenter de nouveau, mais plus durement encore, la première main déjà très éprouvée. »
C’est alors que l’enfant se rebelle et jette à la tête de la soeur l’un de ses sabots de frêne, avant de s’enfuir de l’école, pour ne plus jamais y revenir…
Et Antoine Sylvère de conclure : « Pour moi le déroulement de cette affaire avait été très satisfaisant et les coups donnés à la Soeur Vincent, d’un plaisir inestimable – celui d’un condamné assistant au martyre de son bourreau. »
Sur les coups de baguette des maîtres d’école de par le monde, voir l’article publié le 12/03/2010 dans la rubrique Canne et bâton, symboles d’autorité : La baguette multifonctions du maître d’école.
Voir aussi les articles publiés dans la rubrique Punitions par cannes et bâtons : le 04/06/2013 : En Chine, un bon maître châtiait bien en 1897 et le 30/06/2013 : 911 527 coups de bâton donnés aux élèves.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci