On sait combien ont été meurtrières les rixes entre compagnons de métiers et de rites différents jusque vers 1850. Agricol Perdiguier les a dénoncées dans son « Livre du Compagnonnage » (1839) et d’autres compagnons également, à travers leurs chansons notamment (dont le boulanger Journolleau, auteur de « Plus de bâton de longueur« , qui figure sur ce site à la date du 20 novembre 2012).
GOSSET, qui était le « Père » des compagnons forgerons de Paris, publia lui aussi en 1842 un « Projet tendant à régénérer le compagnonnage sur le tour de France, soumis à tous les ouvriers » (une partie en a été publiée en 1976 par Alain Faure et Jacques Rancière dans « La Parole ouvrière 1830-1851″, aux Ed. 10/18.).
Nous en extrayons cet intéressant passage qui montre que les compagnons eux-mêmes étaient las de ces rixes et que certains prenaient des mesures pour en limiter les conséquences : » Dans plusieurs Sociétés de Compagnons les cannes sont encore d’une longueur si démesurée qu’elles ressemblent plutôt à une arme dangereuse qu’à un signe symbolique. D’autres Sociétés ont compris que la longueur d’une canne n’augmentait en rien le mérite attaché à cet emblème. Tout récemment les Compagnons passants tailleurs de pierre viennent de limiter la hauteur des cannes à un mètre (…) ».
C’est ce que feront également les tisseurs lorsqu’ils recevront leur constitution des selliers en 1841 et les boulangers en 1860. Voir l’article : La canne sera rognée du 18 juillet 2013.
Puis d’autres compagnons, à partir des années 1870, suggèreront qu’il ne fallait plus de canne du tout. Ces compagnons progressistes trouvaient cet attribut ridicule. Ils étaient membres de la Fédération Compagnonnique de tous les Devoirs réunis (1874-1889) puis de l’Union Compagnonnique (fondée en 1889).
Mais on ne passe pas facilement d’un extrême à l’autre, de la longue canne à la canne courte, puis à l’absence de canne. Des compagnons du courant conservateur, ceux du mouvement du « Ralliement des compagnons du Devoir », réagirent énergiquement à ces propositions. Voici ce qu’écrivait le compagnon cordonnier du Devoir REMY-DUMONT, dans le journal « Le Ralliement » du 12 décembre 1886. Ce compagnon avait été reçu à Nantes en 1833 et il habitait au Mans. Pour lui, supprimer leurs cannes aux compagnons était une ineptie, pire : un sacrilège ! :
« Je sais aussi qu’à une époque peu éloignée, on osa proposer la suppression des cannes et couleurs (rubans) qui sont l’emblême du Compagnonnage, qui traverse les siècles sans que jamais un Compagnon n’osât faire une semblable proposition.
Celui qui aurait l’audace d’un fait semblable aurait été banni de notre sein à quelque corps qu’il appartienne.
La canne et les couleurs sont dans l’ordre du Compagnonnage aussi vénérés que le drapeau d’un régiment. Le Compagnon sans canne c’est l’officier sans épée ! ».
Le détail de la photo illustrant cet article nous montre les compagnons maréchaux-ferrants du Devoir à la Saint-Eloi d’hiver de Bordeaux, en décembre 1904. On y voit les compagnons restés fidèles à leurs longues cannes (comme de nos jours), en compagnie d’un des leurs en uniforme.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci