Nous sommes habitués depuis une trentaine d’années à lire sur les emballages de jouets diverses recommandations quant à leur usage selon l’âge des enfants auxquels ils sont destinés. Mais de tous temps, les enfants se sont aussi fabriqué leurs propres jouets et l’on sait que ce sont souvent les plus simples qui ont le plus de succès car l’imagination les transforme. Il en est ainsi du bâton : fusil, épée, cheval, lance de chevalier, le bâton se prête à tout. Il peut aussi s’avérer dangereux lorsqu’il est employé avec un peu trop de conviction…
Voici un exemple d’un bâton de châtiment découvert dans la revue « Le Musée des familles » de juin 1873, p. 189-190. Dans un récit à caractère moral intitulé « Robinsonnette », le narrateur met en scène un groupe d’enfants partis cueillir des fraises dans les bois. Ils déposent leur panier en un endroit, reviennent un peu plus tard mais le panier a disparu ! Aussitôt, une petite fille qui passait par là est accusée mais elle se défend en désignant le coupable, un nommé Gribiou. et c’est là qu’intervient le bâton du châtiment :
« Et, sans rien ajouter, elle montre du doigt, à quelque cinquante pas de là, un jeune garçon qui, un gros bâton à la main, un panier au bras, hâte le pas pour disparaître au plus vite derrière le tournant de la route. » Bien vite rejoint par les autres enfants, il tente de s’échapper : « Glissant vivement son bâton entre les jambes de Pierre et formant levier de côté, il réussit à le faire trébucher. (…) Avant que Gribiou se fût reconnu, Pierre était déjà debout, lui arrachant le bâton des mains et le brandissant sur la tête du mauvais farceur. »
Ce dernier invente une histoire à dormir debout pour dissimuler son vol, ce qui agace Pierre : « - Allons, assez ! cria Pierre, avec de grands airs terribles, en faisant tournoyer le bâton, dont la menace imprimait à Gribiou de comiques inflexions d’échine – tout d’abord je t’avertis que si tu fais seulement mine de vouloir t’enfuir, je tape. Tu as compris, hein ?
Puis, s’adressant à ses camarades :
- Maintenant, vous autres, il faudrait aviser à nous payer de sa méchanceté, car enfin ça ne peut pas se passer ainsi. Quelle peine subira-t-il ?
- Dix coups de trique, fit l’un.
- Vingt coups, dit un second.
Et la sentence semblait devoir s’aggraver de juge en juge, quand Pierre, levant le bras qui tenait le bâton : – Une idée, attendez, j’ai une idée. »
Pierre propose alors de reconduire Gribiou à l’endroit où il a volé le panier de fraises, en lui faisant imiter le cri de divers animaux. « Et Pierre fit avec la trique un moulinet sur la tête de Gribiou qui ne semblait rien moins que rassuré. » Il imite donc le cri d’un oiseau, de la grenouille, d’un âne mais ne sait imiter celui de la vache.
« Et comme Gribiou, soit incapacité réelle, soit mauvais vouloir, ne se hâtait pas assez de se soumettre à l’ordre qui venait de lui être intimé, Pierre leva le bâton sur les épaules. – Tape ! tape ! s’il ne veut pas obéir ! répétaient les enfants à qui mieux mieux.
Mais à ce moment l’arme terrible et menaçante fut brusquement arrachée de la main de Pierre, et, tout ébahi, il entendit une petite et faible voix qui disait près de lui :
- C’est vilain ce que tu fais là, sais-tu bien ? C’est méchant ce que vous faites tous qui vous mettez tant et tant contre un seul. N’avez-vous pas honte de tourmenter ainsi un garçon qui sûrement n’avait voulu que vous faire une farce pour rire ? »
Sensible à cette vérité, la troupe relâche Gribiou.
Ce petit récit n’est pas de la pure imagination. On sait, hélas, que l’effet de groupe produit des comportements odieux dans les cours de récréation aujourd’hui, et que la violence commence très tôt chez les enfants, envers les plus faibles…
Parfois, c’est simplement un refus qui entraîne une riposte disproportionnée. Ainsi peut-on lire sous la plume de Louis CHIORINO, dans ses Mémoires intitulées « Compagnon menuisier haut-alpin ; histoire d’une vie rythmée par le bois » (Editions des Hautes-Alpes, 2012), p. 33 : « A l’âge de 8 ans, un copain à qui j’avais refusé de prêter ma luge m’a donné un coup de bâton me fracturant le tibia. Que de souffrances endurées ! Le docteur Pons est venu à la maison transportant ses appareils de radio. Au vu du dégât, je fus allongé sur la table, mon père me tenant par les épaules, le docteur Pons tirant sur ma jambe pour remettre l’os en place, ceci sans anesthésie. C’était à cette époque (1937) la façon de soigner. Je suis resté 52 jours dans le plâtre. Les copains venaient me voir et me portaient les devoirs. »
Qui a dit qu’un bâton était inoffensif entre les mains d’un enfant ?
La gravure illustrant cet article est celle de Pierre menaçant Gribiou avec son bâton, parue dans le Musée des Familles.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci