La canne, si répandue au XIXe siècle, a eu ses détracteurs, ses tièdes, ses adeptes à regret… Voici ce qu’en pensaient en 1842 Charles DEBELLE et A. DELBES, auteurs d’un amusant petit livre illustré intitulé « Physiologie de la toilette » (source : Google livres).
Pages 61-63, les auteurs ouvrent un chapitre intitulé « Une cinquième jambe ».
» Canne. – Petit animal amphibie et à deux jambes.
(Agenda d’un Anglais)
Cela supposerait que l’homme est un animal à quatre pattes ; mais la cinquième, où la trouver, sinon dans la canne ?
Canne, tu es agréable, mais il faut te comprendre ; – tel individu veut un rotin, tel physique un jonc à pomme d’or. – Avez-vous remarqué tout ce qu’il y a de coquet dans la manière de balancer un produit de Thomassin, et combien la désinvolture gagne de nonchalance aisée, en compagnie de ce meuble aussi nécessaire qu’inutile ? Il y a des élégants qui se figurent l’être davantage, parce qu’ils son attachés après un bâton d’ivoire massif ou une corne de rhinocéros ; ayons cela comme objet de curiosité, chez nous, à côté des magots de la Chine et des vases étrusques.
Mais gardez-vous, surtout, de tenir la canne dans le vôtre comme un fusil au port d’arme, ou encore d’éborgner les passants en l’envoyant horizontalement sous le bras pour satisfaire le besoin de vous moucher ou autre. Il ne faut pas que le public souffre de nos infirmités, c’est une vérité qui crève les yeux.
La canne de jonc sent la rue de Jérusalem, je préfère un parapluie rose. Il va sans dire que nous proscrivons toutes ces inventions baroques qui compliquent la canne de circonstances aggravantes ; la canne-siège, la canne-parapluie, la canne à pêche, la canne en fer creux galvanisé, et autres monstruosités qui sont l’antipode du bon sens autant que du bon ton.
Enfin, s’il nous est permis d’énoncer ici notre opinion personnelle, nous n’apprécions la canne que comme moyen irrésistible de séduction entre les mains d’un tambour-major de la citoyenne, ou en cas de cor exaspéré. Ayez-en une, vous ferez bien, n’en ayez pas, vous ferez mieux. »
Quelques remarques. Debelle écrit « un produit de Thomassin ». Il s’agissait d’un marchand de cannes renommé, à Paris, dont on trouve mention dans « La Mode, revue du monde élégant » en 1835 : « Aujourd’hui, quelques-uns de nos fashionables jeunes hommes ne veulent pas confier toutes les parties de leur mise à un seul artiste ; l’habit et la redingote habillée doivent venir de chez BLIN ou CHEVREUIL (…), et les cannes de chez THOMASSIN. » Théophile Gautier le cite également dans « Les Roués innocents » (1853) : « La jeune fille (…) prenant, les unes après les autres, les cannes de Verdier et de Thomassin… ».
Que veut dire l’auteur par « la canne de jonc sent la rue de Jérusalem » ? Cette ancienne rue de Paris abritait-elle des commerces tenus par des juifs ? Il faudrait voir là une allusion péjorative, visant de supposées pratiques commerciales malhonnêtes, ou des articles de friperie. En fait, ladite rue semble avoir abrité une maison de pèlerins se rendant en Terre Sainte. Elle n’est pas connue dans les annuaires commerciaux de l’époque comme concentrant des fabricants et marchands de cannes.
L’illustration est un dessin de Gavarni légendé « Fraîchement décoré ». L’homme porteur d’un stick se redresse, tout fier de sa décoration. Cette gravure se trouve dans « Le Diable à Paris », chez Hetzel (1868).
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
[...] tels, en 1842, DEBELLE et DELBES, dans leur « Physiologie de la toilette » (voir l’article : « Une cinquième jambe » (1842) [...]
[...] le même sujet, lire aussi sur ce site : « Une cinquième jambe » (1842) et Physiologie de la canne par Damourette [...]