Le célèbre marin Jean Bart (1650-1702) possédait-il une canne qui lui conférait l’invincibilité ? C’est ce que laisse entendre Alfred CAUWET dans un conte intitulé « Les Exploits de Mathurin », publié dans son recueil « Contes du foyer » en 1861, p. 131 et suivantes. Mais on comprend à la fin que la canne n’est rien sans le bras et la volonté qui la meuvent…
L’histoire se déroule sous le règne de Louis XIV, à Saint-Omer. Le jardinier Nicolas Berthelot a un fils nommé Mathurin, qui passe pour timide et un peu benêt. Il entre en apprentissage chez un horloger. Survient son cousin Heurteloup, un marin qui a servi Jean Bart. Il lui conseille de se perfectionner dans son métier en allant travailler à Genève, où l’horlogerie est réputée.
« Quand Mathurin eut fait ses adieux aux auteurs de ses jours, le cousin Heurteloup lui donna un gourdin dont l’extrémité en forme de boule était vraiment formidable.
- Voilà mon cadeau d’adieu, mon cher Mathurin, lui dit-il ; cette trique vient de mon ami et supérieur Jean Bart, qui a rossé avec elle une infinité d’Anglais. On appelle ça « la canne magique », parce qu’elle rend invulnérable celui qui la porte. Avec elle, tu n’as rien à craindre, et tu seras même à l’abri des balles ; mais il faut au besoin t’en servir vaillamment, ou sinon elle tournerait à ton châtiment, et tu recevrais tous les coups que tu aurais dû donner. Tu n’auras qu’à dire : « Voilà la canne de Jean Bart », et tes agresseurs seront remplis d’effroi. Va, mon ami, et que le Dieu de Jean Bart te conduise ! ».
Mathurin, qui prenait au sérieux toutes les paroles de son cousin, accepta le bâton comme un don du Ciel, et après avoir reçu l’accolade de Heurteloup, il partit en jurant de ne jamais se séparer de son invicible talisman. »
Sur la route de Paris à Fontainebleau, il tombe sur deux coupeurs de bourses : « L’un d’eux revient sur notre voyageur en brandissant un poignard qu’il a vivement sorti de dessous ses habits.
« Ah ! tu veux tâter de la canne de Jean Bart, s’exclame Mathurin : attrape donc, vil coquin ; voilà ton compte ! » Et son gourdin étend l’assassin plus d’à demi-mort à ses pieds.
L’autre voleur, bien qu’armé lui aussi d’un poignard, ne veut pas courir la chance de son camarade et disparaît en toute hâte dans un fourré voisin.
« Heurteloup avait ma foi raison, pensa Mathurin en continuant sa route ; le gourdin de Jean Bart peut en effet s’appeler la canne magique. »
Le sang-froid qu’il déploya dans cette circonstance lui donna la plus haute idée de sa valeur : il ne reconnaissait plus en lui le timide Mathurin d’autrefois.
Trois semaines après cet attentat si bien déjoué, il arriva dans les montagnes solitaires du Jura ; là encore il fut arrêté par un bandit qui fit feu sur lui et le manqua : notre voyageur courut sur lui au pas de charge, et d’un vigoureux coup de gourdin fit voler à dix pas le mousquet du brigand ; puis il ramassa l’arme et obligea le brigand à marcher à un pas devant lui jusqu’à la ville voisine, où il le remit au pouvoir des autorités. On l’y félicita d’avoir ainsi débarrassé le pays de son plus redoutable fléau.
« Il n’y a pas grand mérite à cela, répondit Mathurin ; avec la canne de Jean Bart on ne craint ni les poignards ni les mousquets. »
Le conte se poursuit par le séjour de l’horloger à Genève durant deux ans, puis il revient à Saint-Omer où il s’installe à son compte. A nouveau, il use de son bâton pour empêcher un voleur de dérober un mécanisme d’horlogerie sur la façade d’une maison. Puis le cousin Heurteloup revient le voir :
« - Mon cher cousin, répondit notre horloger, je vous rends votre canne magique ; je suis convaincu que toute sa magie consiste dans ces deux vérités : « La peur centuple le danger ; il faut avoir foi en soi-même, si l’on veut être craint. » – Vous la donnerez donc à qui vous voudrez ; pour moi, je n’en ai plus besoin. »
- Très bien ! fit Heurteloup ; j’en ferai hommage à la société des jeunes marins de Dunkerque, ça pourra servir à l’abordage. »
La canne de Jean Bart fut en effet donnée à cette société, et l’on attribue à cette possession le courage dont firent toujours preuve les marins de cette ville. »
La gravure illustrant cet article est celle de la statue de Jean Bart à Dunkerque, oeuvre du sculpteur David d’Angers (1845). Elle est extraite du Magasin pittoresque de juillet 1848.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci