Nous avons déjà rencontré l’écrivain Alphonse KARR dans l’article Alphonse Karr (1808-1890), écrivain et bâtonniste. Or, dans son étude de moeurs « La Famille Alain » (1847), il décrit plaisamment les efforts d’un jeune pêcheur de Dive, pour conquérir la belle Pulchérie, élève d’un cours privé de Saint-Denis, qui vient en vacances dans la petite cité du Calvados. Le jeune homme, Onésime Malais, apprend de sa soeur ce qu’est un « cavalier accompli » :
« Ainsi elle m’a dit une fois que nous jasions à la maison en me parlant de je ne sais qui : C’est un cavalier accompli. Je croyais d’abord que c’était quelqu’un qui montait bien à cheval ; mais elle m’a expliqué. Eh bien ! ça n’est pas cela ; un cavalier accompli, c’est un homme… Elle ne m’a pas dit s’il savait lire et écrire, mais je crois bien que oui ; c’est un homme qui est très bien habillé, qui sait bien danser, bien se battre à toutes sortes d’armes, bien monter à cheval, qui dit toutes sortes de jolies choses aux jeunes filles ».
Onésime veut donc devenir un cavalier accompli et se rend chez le maître d’école du village, nommé Epiphane Garandin, personnage qui prétend avoir exercé beaucoup de métiers et tout en savoir, et qui est à présent instituteur, secrétaire de mairie, chantre à l’église. Il est en outre prétentieux et ivrogne. Voici un extrait du chapitre IX : Chez maître Epiphane Garandin.
A la question d’Onésime « est-il vrai qu’il faille savoir tant de choses pour être un cavalier accompli ? », le maître lui explique qu’il sait tout et sait tout faire :
« Je faisais des armes, la canne, le bâton, le chausson, tout. Après que j’ai eu quitté Paris, j’étais, à Châlons-sur-Saône, sous-directeur d’assurances contre l’incendie. Je me rappelle ; j’ai désarmé, avec un simple manche à balai, trois soldats avec lesquels je m’étais pris de querelle dans un cabaret. Je suis sûr qu’on en parle encore dans la ville. »
Le maître, flatté de ce que l’élève veuille prendre des leçons auprès de lui « convint avec Onésime qu’il viendrait dès le lendemain et qu’on commencerait à la fois les armes, la musique, la lecture et l’écriture. »
La leçon d’armes est décrite au chapitre suivant :
» (Onésime) était fort assidu à prendre ses leçons avec le clerc (…) En fait d’armes, il faisait de notables progrès dans l’art du bâton et du chausson. Pour les personnes qui ne connaissent pas ces escrimes, il est facile de les faire assister à une leçon. Le maître et l’élève tiennent chacun un bâton de quatre pieds et demi.
Epiphane. – Attention, la douzième division de bâton est une des plus salutaires ; elle s’exécute en trente temps. Mets-toi à la première position, développe en marchant deux coups de figure à droite ; tourne sur les talons en trois temps par trois coups de bâton à gauche, deux autres coups de figure à droite, un coup de tête, coup de flanc à droite et à gauche, une enlevée de poignet, un coup de bout, coup de figure double à droite et à gauche, enlevée ; finis par un coup de trousse-menton, et coup de figure à droite et à gauche. Cette division, comme je te l’ai dit, est des plus salutaires ; tous les maîtres ne la font pas faire ; je l’ai apprise à Rouen, où j’étais filateur d’indiennes.
Passons maintenant à la leçon de chausson. – Coup de pied droit doublé pour l’attaque, je riposte par un coup de poing à la figure, parade du coup de poing, coups de pied voltés en dedans et en dehors, passement et contre-passement de jambes, feinte de coup de poing de poitrine, coup de poing sur l’oreille, ramassement des jambes en dedans et en dehors, coup de pied au flanc, parade croisée de coup de pied de flanc, coup de pied de gencives, ramassement de jambes. Bien ! pas de raideur. Si tu donnes le coup de pied de gencives en baissant à plat le pied qui reste à terre, tu tombes sur le dos à la moindre parade. Sur la pointe du pied, – plus haut, aux gencives ! c’est mieux.
Onésime, souple et vigoureux, réussissait parfaitement dans ce qu’il croyait être les armes ; mais, dans la lecture et dans l’écriture, il était loin de faire d’aussi rapides progrès. »
Alphonse Karr, qui s’y connaissait en bâton et en chausson, a-t-il employé d’authentiques termes techniques issus de ces deux arts, ou bien s’agit-il de figures imaginaires ? Quelqu’un peut-il le confirmer ?
Article proposé par Laurent Bastard. Merci
NB: les bâtonnistes apprécieront le terme « trousse-menton » qui pourrait aujourd’hui pourrait peut être s’appeler « un enlevé menton » c’est à dire un coup effectué avec une rotation du bâton de bas en haut…crochetant le menton. « Trousse menton » est tout de même assez évocateur FM
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