Le tzar Pierre Ier le Grand (1672-1725) fut un grand monarque qui réforma la Russie, mais son autoritarisme et son impulsivité n’ont pas toujours laissé de bons souvenirs à ses contemporains. Il n’hésitait pas à châtier lui-même ceux qui le contrariaient, au moyen de sa canne, la « dubina ».
L’auteur de l’extrait qui suit en rapporte des exemples et ajoute, en note, à propos de « dubina » : « Le mot Dubina signifie proprement gros bâton ; c’est le nom consacré de la canne de Pierre le Grand. »
Voici donc ce qui figure dans les « Anecdotes originales de Pierre le Grand », par M. de STAEHLIN (1787).
A l’académie, après la mort du tzar, furent pieusement conservés ses objets personnels, dont la dubina, et Staehlin précise, p. 286 : « Dans un coin du même cabinet est la fameuse Dubina de l’empereur, c’est la canne dont il se servait que l’on nomme ainsi ; elle est d’un jonc assez gros, orné d’une pomme d’ivoire. Il en faisait souvent, comme nous l’avons déjà dit plus haut, un instrument de justice, avec lequel il punissait sur le champ les étourderies ou l’oubli de ses ordres. (…) Je conduisais un jour dans la bibliothèque et dans les cabinets de l’académie un des principaux officiers de la cour de l’impératrice Elisabeth, qui dans sa jeunesse avait été attaché à Pierre le Grand. Comme je lui racontais que ce prince portait ordinairement cette canne, il m’interrompit en disant : » – Ne te donne pas la peine d’en dire davantage, je la connais mieux et depuis plus longtemps que toi. J’en ai souvent senti le poids sur mon dos dans ma jeunesse. »
Ailleurs (p. 211), il rapporte que le tzar appréciait particulièrement un fromage de Limbourg, mais il s’étonnait que son volume disparût trop vite d’un jour à l’autre. Avec un compas, il prit la mesure exacte de ce qui restait et la rapporta sur ses tablettes. Le lendemain, il constata qu’il en manquait encore. Il appela son chef-cuisinier Velten : « Ne t’avais-je pas dit de me le garder ? – Oui, Sire, mais je l’ai oublié. – Eh bien, je vais te donner de la mémoire. » Alors il se leva de table, saisit sa canne, en régala le pauvre chef de cuisine, se remit à sa place et mangea, en buvant très tranquillement quelques verres de vin de l’Hermitage… »
Ses accès de colère pouvaient être dangereux. Page 240, Staehlin rapporte que Pierre le Grand avait fait venir de France l’architecte Le Blond, qu’il avait chargé de réaménager le château de Peterhof. Un favori du tzar en était jaloux et répandit auprès de lui l’information fausse selon laquelle l’architecte avait fait abattre les beaux arbres du domaine, auxquels le monarque tenait beaucoup. En colère, il se rend au château et va trouver Le Blond qui n’a pas le temps de dire un mot : « Dans la rage qui le transportait, il le frappe d’un coup de canne sur le dos. » Le Blond, humilié et abattu, s’alita et, malgré les excuses du tzar qui constata vite que tous ses arbres étaient en place, ne s’en remit pas et mourut l’année suivante.
L’illustration est un portrait de Pierre le Grand d’après Jean-Marc Nattier (1717), conservé à Saint-Petersbourg, au musée de l’Ermitage.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
[...] Nous avons déjà évoqué les manifestations d’autorité et de colère du tsar Pierre le Grand (1672-1725) dans l’article La terrible dubina de Pierre le Grand. [...]
[...] Sur un sujet voisin, voir l’article : La terrible dubina de Pierre le Grand. [...]