Il est un usage attesté au XIXe siècle chez les compagnons du tour de France, lors des enterrements, et qui est toujours observé de nos jours. Il consiste à porter la canne pomme renversée vers le sol, et à la tenir aux deux tiers du fût, la férule relevée en arrière.
Agricol PERDIGUIER, lorsqu’il fit éditer en 1858 sa série de quatre planches intitulée « Le Compagnonnage illustré », a montré la tenue propre à chaque corps de métiers, parmi lesquels figurent des compagnons en tenue de deuil. On y remarque bien qu’ils portent leur canne pomme vers le sol.
On voit ici les tenues d’enterrement d’un compagnon menuisier du Devoir de Liberté, d’un compagnon cordier du Devoir et d’un compagnon cloutier du Devoir (ancienne tenue).
Cet usage est l’expression symbolique d’un « renversement » : le corps du compagnon retourne à la terre, tout ce qui exprimait la vie se trouve changé, bouleversé, à l’inverse du vivant.
Diriger la pomme de la canne vers le sol, c’est aussi exprimer le lieu du repos du défunt et illustrer la sentence de la Genèse (3, 19) : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras dans la poussière. »
Il existe d’autres exemples de « renversement » symboliques.
Ainsi, le tableau représentant les obsèques de la reine Elisabeth Ière à Londres en 1603 nous montre dans le cortège des officiers tenant leur hallebarde pointe au sol, position évidemment non conforme à un usage défensif qui n’était pas de mise ici.
Il en est de même dans l’art funéraire, avec les flambeaux renversés. D’innombrables cimetières renferment ces sculptures qui disparaissent au début du XXe siècle. L’illustration représente deux des six flambeaux renversés figurant sur le tombeau érigé pour la dépouille du maréchal Kellermann (1770-1835) au cimetière parisien du Père-Lachaise.
Quelques fonderies d’articles funéraires perpétuèrent jusque durant l’entre-deux-guerres le ou les flambeaux renversés, avec la croix ou d’autres emblèmes de deuil en fonte.
Là aussi, le symbole parle de lui-même : la flamme retournée est la lumière et la vie qui vont s’éteindre dans l’obscurité du tombeau.
La même idée est exprimée sur des sépultures maçonniques jusqu’au début du XXe siècle. Au symbole classique du compas (le Ciel, l’Esprit) et de l’équerre (la Terre, le monde créé), compas en haut et équerre en bas, l’un agissant sur l’autre, sont substitués les mêmes outils mais retournés. Le compas a ses pointes dirigées vers le Ciel, l’équerre les a vers le bas. L’idée exprimée par ce renversement est celle du retour à la terre, pour le corps du défunt, et du retour aux cieux, pour son âme.
L’illustration montre ce symbole figurant sur une stèle des années 1930 du cimetière de Rochecorbon, en Indre-et-Loire.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci
On remarquera un détail qui m’avait échappé sur la lithographie de Perdiguier représentant le compagnon cordier du Devoir en tenue d’enterrement (image centrale, en bas). Ce compagnon, à l’inverse des deux autres, dirige vers le sol l’embout de sa canne et non la pomme. Il peut s’agir d’un usage destiné à se différencier des autres corps de métier, que la tradition a fini par entériner. Dans tous les cas, que la pomme ou l’embout soit dirigé vers la terre ne change rien à l’idée générale exprimée par ce rite.