Dans son livre « La Mare au diable » publié en 1846, George SAND raconte l’histoire de Germain, un laboureur de Saint-Chartier en Berry qui, veuf, s’éprend de Marie, une jeune bergère, et finit par l’épouser malgré leur différence d’âge car ils sont profondément amoureux l’un de l’autre.
L’écrivaine décrit les coutumes du Berry, et plus précisément de l’Indre, qu’elle connaissait bien, ayant vécu à Nohant, où l’on peut encore visiter son château.
Le passage de l’œuvre qui nous intéresse concerne les préparatifs du mariage, au cours desquels le fiancé doit subir diverses épreuves pour mériter sa promise. C’est là qu’intervient l’usage d’une baguette…
« Quand on eut trinqué ensemble et repris haleine, le fiancé fut amené au milieu de la chambre, et, armé d’une baguette, il dut se soumettre à une nouvelle épreuve.
Pendant la lutte, la fiancée avait été cachée avec trois de ses compagnes par sa mère, sa marraine et ses tantes, qui avaient fait asseoir les quatre jeunes filles sur un banc, dans un coin reculé de la salle, et les avaient couvertes d’un grand drap blanc. Les trois compagnes avaient été choisies de la même taille que Marie, et leurs cornettes de hauteur identique, de sorte que le drap leur couvrant la tête et les enveloppant jusque par-dessous les pieds, il était impossible de les distinguer l’une de l’autre.
Le fiancé ne devait les toucher qu’avec le bout de sa baguette, et seulement pour désigner celle qu’il jugeait être sa femme. On lui donnait le temps d’examiner, mais avec ses yeux seulement, et les matrones, placées à ses côtés, veillaient rigoureusement à ce qu’il n’y eût point de supercherie. S’il se trompait, il ne pouvait danser de la soirée avec sa fiancée, mais seulement avec celle qu’il avait choisie par erreur.
Germain, se voyant en présence de ces fantômes enveloppés sous le même suaire, craignait fort de se tromper ; et, de fait, cela était arrivé à bien d’autres, car les précautions étaient toujours prises avec un soin consciencieux. Le cœur lui battait. La petite Marie essayait bien de respirer fort et d’agiter un peu le drap, mais ses malignes rivales en faisaient autant, poussaient le drap avec leurs doigts, et il y avait autant de signes mystérieux que de jeunes filles sous le voile. Les cornettes carrées maintenaient ce voile si également qu’il était impossible de voir la forme d’un front dessiné par ses plis.
Germain, après dix minutes d’hésitation, ferma les yeux, recommanda son âme à Dieu, et tendit la baguette au hasard. Il toucha le front de la petite Marie, qui jeta le drap loin d’elle en criant victoire. Il eut alors la permission de l’embrasser, et, l’enlevant dans ses bras robustes, il la porta au milieu de la chambre, et ouvrit avec elle le bal, qui dura jusqu’à deux heures du matin. »
Cet épisode ritualisé a été résumé en 1860 par George Sand dans ses « Promenades autour d’un village ». Un autre auteur berrichon l’avait aussi signalé, mais d’une façon un peu différente, dans son œuvre posthume. En effet, le folkloriste Germain LAISNEL DE LA SALLE (né en 1801 à La Châtre, mort en 1870 à Neuilly-sur-Seine), ami de George Sand, rapporte dans « Croyances et légendes du centre de la France » (Chaix, 1875) : « Cependant le futur, qui est entré pour ainsi dire d’assaut, avec ses amis, dans la maison de sa fiancée, la cherche partout et ne l’aperçoit pas. Cachée, avec plusieurs jeunes filles et quelquefois avec de très vieilles femmes, derrière un grand drap blanc, il doit la reconnaître au seul contact de sa main ou à son talon ; s’il n’y parvient pas, il lui est interdit de s’approcher d’elle de toute la soirée. » Et il commente : « Cet usage, assez général en France, existe également chez les Morlaques, où le jeune homme est astreint à deviner quelle est sa fiancée mêlée dans un groupe de jeunes filles voilées. Dans les Eddas, il est, au contraire, question d’une jeune fille qui se choisit un mari parmi plusieurs jeunes gens dont on ne voit que les pieds. » (les Morlaques sont un ancien peuple de la Dalmatie, région littorale de l’Adriatique ; les Eddas sont des poèmes de la mythologie nordique du XIIIe siècle).
Dès 1842 (donc avant La Mare au diable), le comte Hippolyte François JAUBERT, dans son « Vocabulaire du Berry et de quelques cantons voisins, par un amateur de vieux langage », p. 78, note 1 de l’entrée « Nocer », avait aussi décrit la coutume de la sorte : « La veille des noces la mariée et les filles d’honneur se cachent sous le manteau de la cheminée, devant laquelle on place un drap. Le futur passe le bras sous le drap, et en touchant la main aux femmes qui sont cachées, il doit reconnaître sa fiancée. ».
Plus tard, compilant et analysant les traditions populaires dans son monumental « Manuel de folklore français contemporain » (1943-1948), Arnold VAN GENNEP évoquera le thème de la « fiancée cachée » au paragraphe 5 (« la situation sociale des fiancés ») du tome I, mais ne reprendra que de façon très résumée le rite de la reconnaissance à travers un drap, sans parler de la baguette, et nuancera le caractère général de la coutume décrite par Laisnel de la Salle.
Qu’en conclure ? Si la coutume existait bien en Berry et ailleurs, aucun des auteurs précités – sauf George Sand – ne rapporte l’emploi d’une baguette pour reconnaître la fiancée cachée derrière un drap. L’écrivaine aurait-elle brodé autour d’un rituel en plaçant une baguette dans la main du fiancé ? La coutume en devenait plus élégante que l’espèce de palpation signalée ailleurs. Peut-être…
En tout cas, son emploi ne pouvait que renvoyer à deux autres choses. D’une part, l’usage immémorial des baguettes divinatoires : le fiancé invoque Dieu avant de la pointer « au hasard » sur celle qui s’avère être sa fiancée. D’autre part, au récit évangélique apocryphe du choix de l’épouse de Joseph : les prétendants de Marie tiennent chacun une baguette, mais seule celle de Joseph se couvre de rameaux, signe de Dieu qui lui permet de se déclarer l’élu (voir l’article : La baguette annonce le mariage de Joseph et Marie).
Article rédigé par Laurent Bastard, merci