Chapitre IV.
Au point du jour le bûcheron se leva. En descendant, il vit la braise du foyer jeter ses dernières lueurs, et l’étranger tout prêt, la main sur le bouton de la porte.
« As-tu ton sac ? dit ce dernier.
- Oui.
- Eh bien ! partons.
- Comment, sans mon fusil ?
- A quoi bon ? puisque tu n’as pas de poudre.
- Mais vous-même, comment chasserez-vous ?
- Tu le verras bien. »
Le bonhomme n’osa pas répliquer, et partit sans éveiller Georgette.
Chemin faisant, il admirait la haute stature de son compagnon ; et bien que celui-ci marchât d’un pas très modéré, le vieillard avait peine à le suivre. Il examinait aussi cette canne étrange qui sonnait creux en touchant le pavé, et qui la veille avait joué un si grand rôle.
Un point pourtant était resté obscur dans l’esprit du bûcheron. Le médecin était arrivé comme un ouragan, mais pourquoi ? Avait-il obéi à l’appel du sifflet, ou à quelque pouvoir irrésistible attaché à ce bâton prodigieux ? Le bonhomme n’eût jamais osé se permettre une question à cet égard, mais il brûlait de connaître la vérité.
Ils arrivèrent ainsi près d’un grand arbre qui bordait la route, et l’homme à la canne s’arrêta.
« Vois-tu quelque chose là-bas ? dit-il en montrant du doigt l’extrémité de la plaine.
- Non, répondit le bûcheron écarquillant les yeux. Mais le jour n’est pas bien net encore ; il reste un peu de brouillard.
- Allons, regarde bien. »
La canne vibra comme la veille. Aussitôt les arbres se couchèrent comme au souffle d’un violent orage, et étendirent leurs tiges et leurs branches vers les chasseurs, qu’ils semblèrent saluer ; puis, de tous les points de l’horizon apparurent de petits points noirs bondissant, cahotés, semblant tous converger vers un même but. Quand ces points se rapprochèrent, le bonhomme reconnut des lièvres et des perdrix se débattant contre une force invisible, labourant le sol de leurs ongles, cherchant vainement à s’y cramponner, et entraînés comme les galets par la vague. Tous vinrent pêle-mêle rouler à ses pieds.
En cherchant la cause de ce prodige, il vit son compagnon qui tenait le bâton appliqué à ses lèvres, et qui, de sa main gauche restée libre, dessinait un geste rapide et significatif. Le bûcheron comprit sans doute, car, fondant aussitôt sur ce riche butin, il ramasa sans choisir et emplit son sac.
L’étranger le regardait en souriant ; il jouissait de la joie et de la surprise du vieillard. Quand celui-ci eut enfermé le dernier lièvre, quand il eut tordu l’extrémité du sac pour retenir les prisonniers dont les convulsions faisaient frémir la toile, il remercia son bienfaiteur avec effusion.
« Ainsi, te voilà riche, dit l’étranger. N’accuse plus la Providence, puisqu’elle t’est venue en aide ; va vendre ton gibier à la ville, et tu seras pour quelque temps à l’abri du besoin. »
Mais, au lieu d’écouter ces sages paroles, le bûcheron était tombé dans une extase profonde. Fasciné par la canne merveilleuse, il ne pouvait en détacher ses regards.
« Eh bien ! qu’as-tu donc ? dit l’étranger. Ta joie s’est-elle subitement éteinte ?
- Oh ! non, bien au contraire, mais…
- Mais quoi ? Ah ! je comprends ; tu veux que je t’aide à charger le sac sur tes épaules. Bien volontiers !
- Non, ce n’est pas cela.
- Qu’est-ce donc, alors ? Parle, que veux-tu ? Ne suis-je pas ton ami ?
- Je n’oserai jamais.
- Va donc ! pas de fausse honte.
- Eh bien ! dit le bûcheron en hésitant, cette canne, si je l’avais, me rendrait bien heureux.
- Insensé ! tu seras donc toujours ambitieux ?
- Pour moi je ne veux rien, je vous l’assure ; mais je veux tout pour Georgette. Avec ce talisman, je lui trouverais en un jour l’époux qu’elle mérite et que je ne puis lui donner dans ma misère.
- Ah ! ça, qui donc t’a mis en tête de la faire princesse ? L’as-tu consultée seulement ?
- Ne me refusez pas ; c’est le rêve de ma vie. Il est ridicule, il est insensé ! mais après ce que je viens de voir, pourquoi ne penserais-je pas à des choses qui semblent impossibles ? Avec ce talisman le monde est à vous ; vous disposez de tout. Prêtez-le moi vingt-quatre heures, et je vous bénirai jusqu’au jour de ma mort.
- Tu ne saurais pas t’en servir.
- Je l’apprendrai bien vite. D’ailleurs, ne vous ai-je pas vu, avec une simple aspiration, attirer tout ce qui était devant vous ?
- Encore faut-il le faire avec discernement.
- Je serai prudent.
- L’ambitieux ne l’est jamais. Tu mettras ce pouvoir illimité au service de tes intérêts ; moi, je le mets au service de ceux qui souffrent.
- Le bonheur de ma fille, n’est-ce pas un noble but ?
- Mais si tu te trompes ? Si tu vas chercher bien loin ce qui est à ta porte ?
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que Georgette aimerait mieux ne pas sortir de sa condition.
- C’est impossible.
-Tu le crois ?
- J’en suis sûr.
- Eh bien donc ! essaye, si le bonheur de Georgette est à ce prix. Voici le talisman, je te le prête. Mais vingt-quatre heures sont trop tôt passées, je veux te donner plus de chances de réussir. Dans huit jours, à pareille heure, tu me le rendras. Je t’attendrai au pied de cet arbre. Va ; puissé-je ne pas me repentir de ma complaisance !
- Oh ! soyez tranquille ! Je vous remercie, sauveur de ma fille ! Grâce à vous, son avenir est assuré.
- C’est bon, tu me remercieras dans huit jours. Adieu. »
L’étranger s’éloigna traversant la plaine. Bientôt il fut sur le sommet d’une colline, et avant de disparaître de l’autre côté, il se retourna.
Le bûcheron tenait d’une main le bout du sac, et de l’autre il serrait contre sa poitrine la canne enchantée. »
( A suivre…)
Article rédigé par Laurent Bastard, merci