Nous restons toujours confondus devant l’imagination humaine lorsqu’il s’agit de tirer profit des espèces animales et végétales. Les chemins empruntés sont étranges et conduisent souvent à des impasses. En voici un exemple avec le procédé qui consistait à battre les arbres fruitiers pour en obtenir un meilleur rendement.
Le procédé est sérieusement décrit par un nommé MOIGNO dans le « Nouveau journal des connaissances utiles, encyclopédie mensuelle », n° 10, de février 1858. Voici de quoi il s’agissait :
« Le battage, moyen de faire fructifier les arbres dans les jardins et les vergers, par M. Poulet de Saint-Amand.
M. Poulet de Saint-Amand, en Puisaye (Nièvre), a créé un art merveilleux et dont les procédés sont plus extraordinaires encore : l’art de faire produire une récolte hâtive et abondante de fruits aux arbres même les plus stériles. Il ne s’agit pas d’une idée, il ne s’agit pas même d’essais, il s’agit d’une pratique déjà vieille de huit années, et dont les résultats ont été authentiquement constatés.
Il faut, avant tout, renouveler la terre autour de l’arbre par un labour de 50 à 60 centimètres de profondeur. Si le sol est argileux, froid, humide, on le couvre d’une couche de chaux vive pulvérisée, d’un décimètre de hauteur, et l’on bêche pour enterrer la chaux. Si le sol est sec est friable, on mettra moins de chaux (…)
Le sol amendé, il faut amender l’arbre, que nous supposons âgé au moins de cinq ou six ans. Or, le procédé d’amendement consiste à le meurtrir avec un bâton depuis le pied jusqu’au sommet, sur sa tige et sur toutes ses branches. L’opération se fait au printemps, au moment du départ de la sève, et elle s’étend à tous les arbres, aux quenouilles, aux espaliers, aux plein-vents ; l’abricotier, cependant, fait exception, il ne supporte pas les coups, ils le feraient mourir. S’il s’agit d’un vieil arbre, on évitera d’écorcher la tige ou les grosses branches, se contentant de les meurtrir ; les plaies des arbres jeunes, au contraire, sont sans conséquences ; elles se cicatrisent promptement.
Le battage dispense de tailler les arbres à la manière ordinaire, et c’est déjà un précieux avantage, parce que la taille, telle qu’on la pratique, est, suivant M. Poulet, tout à fait irrationnelle et nuisible. L’arbre battu ne donnera pas évidemment de fruits dans l’année de l’opération, puisque celle-ci a nécessairement eu pour effet de détruire presque tous les boutons à fleurs et à fruits. Mais l’année suivante, ou mieux, les années suivantes, à moins d’accidents extérieurs et imprévus, on peut compter sur une récolte très abondante de fruits de beauté et de qualité supérieure ; l’arbre aura aussi pris un développement magnifique. Si après plusieurs années il redevenait stérile, on lui infligerait le même châtiment réparateur !
« Depuis que j’ai appliqué ma méthode, dit M. Poulet dans son mémoire adressé à l’Académie des sciences, c’est-à-dire depuis huit ans, jamais mes arbres n’ont manqué de se couvrir chaque année de fruits très nombreux ; le battage n’a altéré en rien leur constitution ; on ne voit plus apparaître ces longues tiges nouvelles, ces gourmands qui épuisaient la tige sans lui rien restituer, et dont il fallait se débarrasser ; la sève entière est utilisée ; elle devient pour la tige, pour les branches, pour les fleurs et les fruits, une nourriture suffisante, abondante même et forte, qui leur donne une vigueur inaccoutumée. »
Voilà certes de belles étrennes pour la France d’abord, pour l’horticulture ensuite. »
Ce texte est surprenant. Peut-être existe-t-il un phénomène biologique qui explique le lien entre les meurtrissures infligées aux arbres par les coups de bâton qu’on lui donne, et si un lecteur féru d’horticulture a une explication, qu’il nous la donne. Mais le procédé nous semble plutôt fondé sur l’analogie supposée exister entre l’homme et la plante. Au milieu du XIXe siècle, l’éducation passait par les châtiments corporels. Nous avons souvent rendu compte sur ce site de l’emploi des verges, règles, baguettes et même bâtons, par les maîtres d’école, lorsqu’il s’agissait de corriger les élèves, de les remettre dans le droit chemin, de leur faire apprendre leurs leçons. Pas de croissance, pas d’enrichissement intellectuel sans souffrance ! Le terme de « châtiment réparateur » employé plus haut est révélateur du même état d’esprit qui régnait alors dans les écoles, envers les apprentis et dans les familles. M. Poulet de Saint-Amand s’est donc dit un jour que, si en battant les enfants on les rendait productifs, on pourrait étendre les coups de bâton aux arbres pour faire de même. Les beaux fruits résultent de la peine subie, pourrait-on résumer. Inquiétant…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci