Certaines cannes ou bâtons étaient emblématiques d’une profession. Ainsi, les porteurs ou déchargeurs de grains ou de farine, qui étaient des « forts des halles » spécialisés, étaient toujours munis d’un bâton qui leur servait de troisième jambe pour ne pas ployer sous leur charge.
Leur travail consistait à décharger et livrer chez les meuniers ou les boulangers de gros sacs de toile emplis de grains de blé ou de farine. Il fallait être très fort pour supporter des sacs de… 159 kilos (24 boisseaux) ! Et cela dura jusqu’en 1922, date à laquelle se répandit le sac de 50 kg.
La profession est ancienne. Alfred FRANKLIN, dans son « Dictionnaire des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le XIIIe siècle » (1905-1906), écrit à l’entrée « Porteurs de grains » :
« Ils chargeaient, portaient et déchargeaient les sacs de grains. La Taille de 1292 mentionne 12 porteurs de blé. Par ordonnance du 20 juillet 1410, Charles VI autorisa les porteurs de grains à établir, dans l’église Saint-Eustache, une confrérie « en l’honneur et révérence de la glorieuse vierge Marie et de monseigneur saint Louis » (…). Leur organisation paraît dater de l’ordonnance de février 1415.
Au dix-huitième siècle, les porteurs de grains se bornaient à toucher le revenu de leur office, et en faisaient faire la besogne par des gagne-deniers ou « plumets », ancêtres de nos « forts de la halle ».
Ils passaient pour être doués d’une vigueur exceptionnelle, et supportaient de si lourds fardeaux, que, prétend Sébastien Mercier, « ils ont la tête comme enfoncée dans les épaules et les pieds aplatis. »
Leur confrérie s’était dotée d’armoiries représentant saint Christophe portant l’enfant Jésus. La légende rapporte que le saint, un géant païen très fort et orgueilleux, transportait les personnes qui voulaient traverser un fleuve à gué. Jésus, sous l’apparence d’un enfant, pesa tant sur les épaules de Christophe qu’il en devint très humble et se convertit. Sur le blason, le saint est figuré dans l’attitude d’un porteur de grains appuyé sur sa canne, alors que l’imagerie religieuse traditionnelle le montre tenant un très long bâton. C’est une adaptation au métier pour rapprocher le saint protecteur de l’homme de métier.
Ces porteurs étaient revêtus d’un large chapeau pour protéger leur tête, à l’instar des autres « forts » des halles.
Heureusement pour ces hommes vieillis prématurément, le poids des sacs s’allégea et les engins de transport et de levage se répandirent. Mais bien tard, au cours de la seconde moitié du XXe siècle…
L’une de nos illustrations représente un porteur de grains ou de farine ; c’est un détail d’un diplôme de l’exposition internationale de Paris des 6-28 juin 1908, pour les « pétrins mécaniques, moteurs, dynamos, meunerie, boulangerie et hygiène alimentaire », conservé au musée du Compagnonnage de Tours.
L’autre est une partie du tableau du peintre Louis-Robert CARRIER-BELLEUSE : « Les Livreurs de farine » (1885). On distingue bien leur bâton et leur grand chapeau (extrait de l’excellent ouvrage de Jérôme ASSIRE : « Le Livre du Pain » (Flammarion, 1996, p. 62-63). L’oeuvre est exposée au musée du Petit-Palais, à Paris.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci
[...] des forts ou des porteurs de grains et de farine, dont nous avons déjà parlé (voir les articles La canne des porteurs de grains et de farine et La canne des porteurs de grains – suite). Cette fois il s’agit du [...]
[...] canne ou un bâton qui constitue une « troisième jambe » (voir les articles La canne des porteurs de grains et de farine et Le bâton des [...]