Voici un petit récit anecdotique et psychologique sur les personnes qui veulent rendre service aux autres et qui accumulent gaffe sur gaffe. Nous connaissons tous ce genre de bévue. Et cela ne date pas d’hier puisqu’il figure dans « Le Journal des dames et des modes » n° 49 du 5 septembre 1815.
« L’OBLIGEANT MALENCONTREUX
Il est certaines personnes dont l’âme n’est jamais en repos que lorsqu’elle travaille à être utile aux malheureux. Quel coeur admirable que celui de cette dame qui répétait souvent : « Etre heureux, c’est le plaisir ; faire des heureux, c’est le bonheur ! » Il est, parmi les obligeants, des individus maladroits, qui rendent quelquefois la vertu comique ; ils veulent obliger avec délicatesse, et manquent d’esprit. Ils sont dupes, ils déclament contre le genre humain, et ne devraient se plaindre que de leur maladresse.
M. Yoris est un ancien militaire, à qui la mort de son frère, qui était banquier, a laissé, depuis environ trois ans, une fortune considérable, surtout pour un home qui auparavant vivait d’une pension de mille francs.
Personne n’aime autant à obliger que ce bon M. Yoris : je l’ai vu un jour passer près d’un quart d’heure, sur la terrasse des Tuileries, à poursuivre d’arbre en arbre, avec sa canne, un serin appartenant à une petite fille, il poussa l’obligeance jusqu’à jeter sa canne contre l’oiseau fugitif. Par malheur, il le tua du coup, et se fit une affaire avec cette petite fille, qui était au désespoir de la mort de son serin. On s’attroupa aux cris de cette enfant ; et le bon M. Yoris, au milieu du bruit, vit disparaître sa canne à pomme d’or, que la petite fille emporta, pour lui apprendre, disait-elle, à tuer les oiseaux.
Je l’abordai alors, fort à propos, pour lui donner le bras. « Mon ami, me dit-il, vous avez vu cette émeute, j’en suis encore tout troublé (…) »
A peine M. Yoris achevait de conter cette anecdote, que nous vîmes s’approcher de nous, accompagnée de sa bonne, la petite fille qui avait pris la canne à pomme d’or ; elle venait gaîment la restituer. « Parbleu ! dit M. Yoris, la charmante petite personne ! que je l’embrasse. Tenez, mon enfant, dit-il, presque les larmes aux yeux, prenez cette bague pour vous dédommager de la perte de votre joli petit oiseau. » A peine parlait-il ainsi, que la mère de cette enfant, qui était près de là, parut fort mécontente de cette offre ; elle fit entendre, en termes peu mesurés, qu’elle était assez riche pour acheter de nouveaux serins à sa fille, sans le secours de cette bague ; et lançant un regard de mépris, elle prit sa fille par le bras et s’éloigna, en murmurant quelques paroles que je pus entendre… »
Ca vous apprendra à aider les gens, après ça !
Article rédigé par Laurent Bastard, merci