Plusieurs historiens du Compagnonnage ont relevé la similitude que présente une peinture des ruines de Pompéi, la cité romaine détruite par l’éruption du Vésuve en 79, avec les cortèges de compagnons portant leur chef-d’oeuvre au XIXe siècle.
La peinture en question, aujourd’hui exposée au musée de Naples, nous montre des charpentiers portant sur leurs épaules une petite construction appelée « ferculum » (brancard) où sont représentés des figurines de scieurs de long et d’un personnage qui serait Dédale, l’inventeur légendaire des outils à bois. Chacun des quatre porteurs tient en main droite un « baculus » (bâton).
Selon l’auteur d’où nous reproduisons l’illustration, « dans une peinture des catacombes nous voyons un maître menuisier, en costume de parade, tenir à la main une grande canne munie d’une petite pomme, comme celle des suisses d’église. »
Il n’en fallait pas plus pour qu’il écrive : « Cette peinture ne nous représente-t-elle pas le fameux chef-d’oeuvre que les charpentiers modernes, la grosse canne en main, portaient processionnellement à la Saint-Joseph, leur nouvelle fête patronale? » . Certains auteurs virent dans ces deux oeuvres antiques la preuve d’une filiation ininterrompue entre les corporations (collegia) romaines et les compagnons du tour de France. C’était aller un peu vite en besogne.
En fait, les uns ne dérivent pas des autres et quatorze siècles séparent les uns et les autres, et qui plus est ne sont pas localisés sur les mêmes territoires. Les collegia romains étaient plutôt analogues aux corporations médiévales, sans qu’il y ait non plus de lien de filiation entre eux. Ce sont des institutions locales d’artisans sédentaires, alors que les compagnons du tour de France sont par définition des itinérants. La procession représentée à Pompéi est du même type que celles de tous les groupements professionnels ou religieux de par le monde, qui honorent leur fondateur, leur protecteur, leur dieu, leur saint patron…
Les porteurs du brancard tiennent en main un bâton : quelle est sa fonction ? Elle peut leur servir pour soutenir leur marche et s’équilibrer les uns les autres, mais il doit plutôt s’agir d’une sorte de canne d’apparat, comme celle que tient le maître menuisier des catacombes. Là encore, la fonction de ce bâton est différente de celle des compagnons, du moins dans son rôle originel, qui est celle d’une canne de marche. Mais il est vrai qu’utilisée en certaines occasions, tels les cortèges aux fêtes, la canne compagnonnique devient une canne d’apparat, surtout si elle est ornée de rubans.
(D’après Pierre GUSMAN : Une ville antique sous les cendres : Pompéi ; Paris, E. Gaillard, 1906).
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci