L’article suivant a été rédigé par Marie-Ange Terrasse que nous remercions chaleureusement. Merci également à Madame Catherine Bourgeois ainsi qu’à Madame S. Vermande, directrice de la publication de Destination Guadeloupe.
Il est extrait du magazine trimestriel « Destination Guadeloupe », n°22, en date du mars avril mai 2006, Site internet
Nous vous le livrons ici dans son format complet. Merci encore pour cet extraordinaire témoignage culturel.
LE MAYOLE
Exécuté par les esclaves dans les temps sombres de la traite négrière, le mayolé semble la moins connue des danses traditionnelles de la Guadeloupe. Outre son aspect combatif, elle revêt également une véritable dimension spirituelle. Quand on sait qu’elle fut très vite frappée d’interdiction par les maîtres et la papauté, on comprendra tout le mystère qui l’entoure encore, sa transmission uniquement orale ne faisant que le renforcer.
Les « luttes dansées » arpentent les régions du monde depuis fort longtemps. On parle de kalenda à la Dominique, de ladja bâton en Martinique, de Capoeira au Brésil, de Moringue à la Réunion et à Madagascar, de Mani à Cuba, de Komba Bâton en Haïti et à Trinidad, ou encore de Stick Fichte à Grenade et Cariacou… Synonymes de résistance, ces danses du pourtour caribéen ont une histoire commune, celle de la traite négrière, de triste mémoire. Si aujourd’hui le mayolé est devenu un spectacle dansé trop rare, il était autrefois un véritable combat. Jugé trop violent, il fut frappé d’interdiction par les maîtres et la papauté.
Dés l’an 1600, il permet aux esclaves de s’affranchir d’un quotidien avilissant et de résister à l’ordre. Après un dur labeur, ces derniers trouvaient encore le courage de se regrouper. Prétexte à règlements de compte, les bâtons des mayoleurs étaient, dit-on, enduits de poison… Il suffisait de frapper juste assez fort pour provoquer une entaille dans la peau, le poison se distillant alors lentement dans le corps. Pour les esclaves qui réussissaient à s’enfuir lors des nuits sans lune et que l’on surnommait les « neg’mawons » la technique du bâton était très utile.
Toujours selon les dires, les danseurs de mayolé ou plutôt les combattants étaient très craints du reste de la population. Si l’aspect combatif existait, le versant mystique était omniprésent. Le pouvoir du mayoleur digne de ce nom, réfugié dans la montagne, était de dompter la nature en faisant corps avec son bâton. On appelait cela « monter au bâton », l’occasion de recharger l’énergie vitale car pour le mayoleur, la nature est synonyme d’énergie.
Seule la tradition orale témoigne de ces anciennes pratiques, donnant matière à de nombreuses interprétations. Avec le temps, le mayolé a perdu son caractère violent et le combat que l’on appelait autrefois « le mayolé sang » a laissé place à la danse.
Le combat dansé un duel codé
Tout à la fois danse, art et expression populaire, le mayolé est codifié et pratiqué avec un accompagnement musical propre. Sur le rythme endiablé des tambouyés-les ka1 en créole-, du chanteur et des répondeurs (répondé), les danseurs se disputent à tour de rôle la maîtrise du jeu et se lancent des défis à l’aide de grands bâtons. Se mettant en harmonie avec la musique, ce combattant va y tirer force et inspiration.
« Au centre d’un cercle, les hommes (les bâtonniers) déploient majestueusement leurs grands bâtons et tentent par des mouvements circulaires entremêlés de gestes saccadés et dansés, d’esquiver ou d’attaquer à tour de rôle leur adversaire dans un incessant tourbillon où l’équilibre est sans cesse mis à l’épreuve.
Ils vont mimer, des heures durant, avec adresse et agilité un combat dansé au rythme du martèlement sourd des tambours ».Dans l’espace de combat appelé ronde, musique et danse ne se quitteront plus.
L’attaquant se place devant les tambouyés, l’autre se défend en esquivant les coups. Celui qui donne dos au tambouyé attaque, celui qui lui fait face esquive les coups. Au bout de quelques attaques, les rôles sont inversés. Non sans avoir auparavant, face au marqueur, esquissé la « reprise ». Ne nous y trompons pas, on entre dans la ronde pour danser certes, mais en mimant une lutte avec un adversaire.
Le moindre geste utilisé, le moindre déplacement, la moindre posture préparent et permettent de réaliser l’attaque et la défense. La danse comporte trois finalités, « le touché » (les coups seront portés au corps mais seulement aux flancs), « le bouké » (le but étant de s’emparer du bouquet de fleurs plongé dans une bouteille de rhum au centre de la ronde. Une fois la gorgée de rhum avalée, le gagnant invite alors d’autres bâtonniers à le défier la semaine suivante) et le « chapô » qui consiste à ôter le chapeau du défenseur.
Anca Bertrand nous en offre une description dans la Revue Parallèle n°15 :
« Le jeu des mayoleurs est un duel aux bâtons sous forme de danse. Les joueurs font une ronde autour des bâtons déposés à terre, devant les tambours et le choeur des chanteurs, saluent les tambours, prennent ensuite les bâtons et attaquent exactement à la manière des escrimeurs. Le jeu est brutal mais ne manque pas de grâce. L’adresse
des joueurs consiste à enlever d’un coup de bâton le chapeau de l’adversaire ».
Merci à Jimmy Beaupin, passionné de mayolé, à Pascal Pierrefite, président de l’Association des mayoleurs du Moule et à Jean-Claude et Sylvie du centre de développement du tourisme rural « le mayolé » au Lamentin, chacun pour leur éclairage précieux à la connaissance du mayolé.
NOTES :
- 1. Il y a deux types de tambours ka pour le mayolé : le « boula », tambour basse sur lequel sont frappés les rythmes de base dont on dit qu’il est fabriqué à partir d’une peau de cabri mâle, celle de la femelle servant au « maké »-le marqueur-, au son plus aigu et destiné à l’improvisation. (Le son dépendrait également de la phase de la
lune) ; le rythme du tambour est de 8 frappes.
- 2. Long de 1 m à 1,70 m, le bâton du mayoleur est taillé dans le bois d’inde ou ti-feuille, et coupé au lendemain du dernier quartier de la pleine lune.
Tout ce qui apparaît en italique (dans le texte paru dans le magazine) provient d’écrits divers datant de la période de l’esclavage. (Ex. : « L’esclavage aux Antilles françaises avant 1789 » de Lucien Peytraud).
Les majors : Jacombé, Açon, Louison Boclai et les autres
Selon la légende, c’est un esclave du nom de Jacombé qui aurait introduit la technique du mayolé en Guadeloupe. De mémoire, les anciens parlent de personnages aux noms de Désir, Gazou Gaza, Louison Coucel ou encore Louison Bôclai.
Si avant l’abolition de l’esclavage, le mayolé se pratiquait de manière violente – on parle de « mayolé sang
» – , la simulation a aujourd’hui remplacé les frappes au corps. Originaire du Moule, la pratique s’étend ensuite à d’autres communes, plus particulièrement sur la Grande-Terre (Anse-Bertrand, Port-Louis, Petit-Canal) et Marie-Galante.
Pour que vive cette pratique
Si le mayolé subsiste de nos jours et sous une forme ludique, c’est grâce à une poignée d’hommes soucieux de préserver un pan de la culture guadeloupéenne. Au Moule, l’Association des mayoleurs organise des manifestations destinées à replonger dans l’atmosphère d’antan et à mettre les anciens à l’honneur. Les prestations sont pour la plupart festives et s’opèrent au gré des rencontres en suivant le cycle cérémoniel de l’île. L’année 2005 a vu disparaître deux illustres mayoleurs, Lin Kanfrin surnommé « Misiye Yann », originaire de l’île de Marie-Galante et Basile Antoine dit « Michel la Forêt » du Moule.